Mark Kurzem est un historien. Il partage sa vie entre l'Australie où sa famille a émigré après la Seconde guerre mondiale et Oxford. Un jour, son père Alex débarque avec son éternelle valise dont il ne se sépare jamais. Alex parle peu de la guerre, il était gamin, 5-8 ans, et il a partagé quelques "souvenirs" qui ne suffisent pas à son entourage, mais dont on se contente. On se doute bien qu'il n'est pas aisé de parler de la guerre vécue lors de l'enfance.
Parenthèse1. Tous les enfants de personnes d'un certain âge, et qui ont vécu la guerre, comprennent cette relation Mark-Alex. Vivre une guerre, c'est fatalement vivre des choses dont on n'a pas envie de se souvenir, que l'on préfère taire et essayer d'oublier.
Alex a fait le trajet Australie-Angleterre sans prévenir sa femme, qui le croit à l'autre bout de l'Australie. Mark sent bien que le moment est grave, particulier. Alex ouvre -enfin- sa valise. Il va le faire avec lenteur, opiniâtreté au début. Puis peu à peu le flot va se libérer.
Avec le flot de paroles viendra les bulles de souvenirs. Car Alex a occulté beaucoup de souvenirs. Il en a réécrit d'autres. Il faut creuser et déconstruire. Un travail d'historien auquel vont se livrer père et fils.
Un travail d'historien, mais aussi une relation père-fils qui se noue, avec les attentes, les doutes, les silences, les colères rentrées... Effectivement, il y a de la culpabilité chez Alex, pour avoir tu tout cela pendant plus de 50 ans. Et il y a de la colère chez les proches.
Parenthèse 2. Pour parler de mon vécu, il est vite apparu que mes parents n'avaient pas envie de parler de guerre avec leurs fils. Et nous, nous avons essayé de respecter cela, tout en espérant qu'ils finiraient par craquer. Il a aussi fallu les pousser...
Et que va dire Alex? Qu'il a été récupéré et "sauvé" par un bataillon nazi letton en 1941. Un "bon" nazi letton, sachant qu'Alex était juif, a persuadé ses camarades d'épargner l'enfant et de le prendre comme mascotte. On va lui tailler des costumes sur mesure, l'équiper, le nommer caporal, même. Alex a 6 ans, il est juif et il assiste à des massacres de villages entiers.
Le récit père-fils va allors évoluer en une sorte d'enquête, une vérification des souvenirs d'Alex. Mais ses souvenirs sont épars, incorrects peut-être. Surtout ses souvenirs dérangent les vieux Lettons qui ont été accueillis en Angleterre ou en Australie. Tous ces vieux nazis se sont racheté une conduite. Ils vivent en notables et entendent bien convaincre Alex qu'il est de son intérêt de se taire et d'accepter la version officielle... les nazis ont été bons avec Alex... ils sont juste victimes aussi et n'ont rien à se reprocher, disent-ils...
Alex va passer de la culpabilité profonde d'avoir participé à ces massacres à une furieuse envie d'en savoir plus. Il a des noms en tête. Des villages? Des personnes? La fin du récit se transforme en thriller. Entre pressions externes, géopolitique des pays, menaces et tensions familiales, les Kurzem vont débarquer en Biélorussie pour avoir le fin mot... Alex est-il originaire d'un petit village au sud-ouest de Minsk?
Je possédais ce livre depuis pas mal de temps, et je m'attendais à un "simple" récit de souvenirs de guerre. Je ne suis pas déçu par le résultat qui est une vraie surprise. le ton est tout à tour léger, grave, inquisiteur, scientifique... et cela me semble tout à fait adéquat pour aider le lecteur à supporter les horreurs (décrites avec tact et empathie) vécues par Alex.
Parenthèse 3. Mes parents n'ont pas vécu des choses de la même valeur que Alex Kurzem, mais chaque famille a ses propres cadavres dans les placards. Et peut-être est-il bon de les laisser tranquilles? J'admire Mark et Alex Kurzem. Je plains cette génération qui m'a précédé d'avoir eu à vivre une telle horreur et je leur en veux aussi un peu d'avoir tenu à garder le silence.