La pruderie n’existe pas entre eux. Les seules lois immuables sont celles de leur nature. Brûlante. Et les règles fixées depuis des lunes par les clans.
Féral pense trop souvent au sexe. Il en a envie tout le temps et il emporte cette envie partout avec lui, jusque dans les rues qu’il arpente pour brûler à grandes enjambées l’énergie qui le dévore. Il ne lui reste plus que ça, Féral, l’orgasme, pour repousser dans un éblouissement l’obscurité qui approche – la sienne –, pour apercevoir les étoiles avalées par la grisaille de la nuit perpétuelle.
Le gris le fascine, Féral, le gris qui n’est pas du blanc et pas du noir, pas de la couleur non plus, qui vient des profondeurs et des hauteurs à la fois, qui se retrouve dans la pierre, dans le ciel d’autrefois quand il tournait à l’orage – dans celui d’aujourd’hui quand le jour se devine…
Il observe le corps de la jeune femme recouvert par le drap – elle ressemble à un fantôme. Il n’ose pas la toucher de peur qu’elle disparaisse. Il ne veut pas se retrouver tout seul dans la pénombre. Ce n’est pas qu’il appréhende la solitude, Féral, il a appris à vivre avec lui-même, avec ses pensées et ses souvenirs qui le préservent de l’instinct de meute, de ses frères aimés et encombrants. Mais l’obscurité quand elle est silencieuse ressemble trop à la mort.
Depuis longtemps il est en paix avec lui-même, avec son essence profonde qui pulse en attendant l’explosion des étoiles. Le silence ne lui fait pas peur, pas plus que le bruit, d’ailleurs, qui fait vibrer le ventre et gonfler la poitrine quand il s’échappe des gorges de ses frères, mais pour continuer à dialoguer avec le monde il faut le silence et Féral n’a pas besoin de mots pour dire aux arbres qu’il les aime. Le silence a ses respirations, ses densités, parfois étouffe et parfois libère.
Il plonge son regard dans celui de la jeune femme. Il aime les lueurs qui dansent dans le fond. Il se force à respirer. Pourquoi est-ce qu’il se sent maladroit tout à coup ? Pourquoi est-ce que son cœur bat si fort, plus fort que lors du rude combat ? À cause des yeux qui sondent à présent les siens, sombres comme un dessous de futaie, à cause de l’odeur chavirante qu’il peut sentir sans avoir besoin de gonfler les narines et qui lui parvient par vagues quand elle passe la main dans ses cheveux collés par la transpiration ?
La vie de combattant est simple mais elle n’est pas facile.
C'est la mort qui donne son poids à la vie. S'il n'y a pas de miroir dans lequel se contempler, qu'est-ce qui prouve qu'on existe ? La vie perd toute raison d'être quand le temps s'étire à l'infini ...