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EAN : 9782070775507
128 pages
Gallimard (22/09/2005)
5/5   1 notes
Résumé :
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Claudel est d’abord pour moi quelqu’un qui a écrit ce qui suit : « Le Paradis est autour de nous à cette heure même avec toutes ses forêts attentives comme un grand orchestre invisiblement qui adore et qui supplie, Toute cette invention de l’Univers avec ses notes vertigineusement dans l’abîme une par une où le prodige de nos dimensions est écrit. »

"LE PORC

Je peindrai ici l’image du Porc.

C’est une bête solide et tout d’une pièce ; sans jointure et sans cou, ça fonce en avant comme un soc. Cahotant sur ses quatre jambons trapus, c’est une trompe en marche qui quête, et toute odeur qu’il sent, y appliquant son corps de pompe, il l’ingurgite. Que s’il a trouvé le trou qu’il faut, il s’y vautre avec énormité. Ce n’est point le frétillement du canard qui entre à l’eau, ce n’est point l’allégresse sociable du chien ; c’est une jouissance profonde, solitaire, consciente, intégrale. Il renifle, il sirote, il déguste, et l’on ne sait s’il boit ou s’il mange ; tout rond, avec un petit tressaillement, il s’avance et s’enfonce au gras sein de la boue fraîche ; il grogne, il jouit jusque dans le recès de sa triperie, il cligne de l’oeil. Amateur profond, bien que l’appareil toujours en action de son odorat ne laisse rien perdre, ses goûts ne vont point aux parfums passagers des fleurs ou de fruits frivoles ; en tout il cherche la nourriture : il l’aime riche, puissante, mûrie, et son instinct l’attache à ces deux choses, fondamental : la terre, l’ordure.
Gourmand, paillard ! si je vous présente ce modèle, avouez-le : quelque chose manque à votre satisfaction. Ni le corps ne se suffit à lui-même, ni la doctrine qu’il nous enseigne n’est vaine. « N’applique point à la vérité l’oeil seul, mais tout cela sans réserve qui est toi-même. » Le bonheur est notre devoir et notre patrimoine. Une certaine possession, parfaite est donnée.
- Mais telle que celle qui fournit à Énée des présages, la rencontre d’une truie me paraît toujours augurale, un emblème politique. Son flanc est plus obscur que les collines qu’on voit au travers de la pluie, et quand elle se couche, donnant à boire au bataillon de marcassins qui lui marche entre les jambes, elle me paraît l’image même de ces monts que traient les grappes de villages attachés à leurs torrents, non moins massive et non moins difforme.
Je n’omets pas que le sang de cochon sert à fixer l’or."

Paul Claudel, Connaissance de l’Est (1900).

La première chose qui me frappe, c’est que sans Claudel nous n’aurions pas en français le traitement de l’énergie liturgique. L’insurrection de Claudel, ce qu’il appelle, lui, sa conversion, c’est tout simplement l’irruption du rythme au milieu de la littéralisation, de l’aplatissement philosophique et positiviste. Ce qu’il appelle sa conversion n’est rien d’autre que sa révolte physique, physiologique, par rapport à l’oppression scientiste et sirupeuse de la prose de son temps... On s’est moqué de l’aspect bougonnant et porcin de Claudel en oubliant que dans son apologie du porc (Connaissance de l’Est), il a voulu recharger la notion même de sacrifice. Il s’est dévoué, comme un porc qu’il était, à la grandeur du rythme. Quand Claudel, par exemple, s’exclame : « Salut grande nuit de la Foi, infaillible cité astronomique, c’est la nuit et non le brouillard qui est la patrie d’un catholique... », on pourrait trouver que ça a un petit côté tambour et trompette comme couplet. Mais c’est qu’il reprend la rhétorique militaire pour faire l’apologie d’un souffle nerveux et nocturne qui jusqu’à lui n’avait pas droit d’expression. Il se bat. C’est normal. Il n’y a qu’à regarder ce qui s’est passé depuis Claudel. Au moment où il écrit, vous voyez très bien la situation : mort du rythme/ Mallarmé vient de disparaître dans la Voie lactée... Au moment où nous parlons [mars 1983], c’est assez différent et tout se passe comme si en un siècle le point de vue de Claudel sur le martèlement des organes était devenu le symptôme numéro 1. Au point que chacun serait obligé de faire sa maladie ganglionnaire, péniblement sexiforme, quant à Claudel. Il est amusant de penser qu’il est au coeur même de ces préoccupations et qu’il en soit si peu question. Tout le monde y pense, tout le monde s’y réfère, tout le monde se situe par rapport à lui, tout le monde lutte contre lui, et personne n’en parle. Le protestantisme a gagné, mais dans quel état ! Puritanisme et inhibition d’un côté ; chiottes de l’autre.
Déjà, et très loin de nous, l’histoire de la N.R.F... Le fait de savoir si Claudel avait raison ou tort de se formaliser que Gide aille au corydonisme... Cette affaire est tranchée dans le bon sens, c’est-à-dire dans l’invasion corydonienne multilatérale et, grâce au ciel !, l’interdiction de Claudel n’a pas été écoutée. Claudel, comme père, n’a pas arrêté de se faire marcher sur les pieds, et tout le monde a passé outre à ses interdits, c’est son rôle. Le seul ennui, c’est qu’à s’imaginer qu’on a raison contre le père, on ne va pas forcément à autre chose qu’à la dissolution en magma. Claudel a tort, soit, mais il tient debout dans sa connerie principale. Et le corydonisme, à force de saturer l’atmosphère nous embête encore plus que la connerie de Claudel.
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Claudel est d’abord pour moi quelqu’un qui a écrit ce qui suit : « Le Paradis est autour de nous à cette heure même avec toutes ses forêts attentives comme un grand orchestre invisiblement qui adore et qui supplie, Toute cette invention de l’Univers avec ses notes vertigineusement dans l’abîme une par une où le prodige de nos dimensions est écrit. »

"LE PORC

Je peindrai ici l’image du Porc.

C’est une bête solide et tout d’une pièce ; sans jointure et sans cou, ça fonce en avant comme un soc. Cahotant sur ses quatre jambons trapus, c’est une trompe en marche qui quête, et toute odeur qu’il sent, y appliquant son corps de pompe, il l’ingurgite. Que s’il a trouvé le trou qu’il faut, il s’y vautre avec énormité. Ce n’est point le frétillement du canard qui entre à l’eau, ce n’est point l’allégresse sociable du chien ; c’est une jouissance profonde, solitaire, consciente, intégrale. Il renifle, il sirote, il déguste, et l’on ne sait s’il boit ou s’il mange ; tout rond, avec un petit tressaillement, il s’avance et s’enfonce au gras sein de la boue fraîche ; il grogne, il jouit jusque dans le recès de sa triperie, il cligne de l’oeil. Amateur profond, bien que l’appareil toujours en action de son odorat ne laisse rien perdre, ses goûts ne vont point aux parfums passagers des fleurs ou de fruits frivoles ; en tout il cherche la nourriture : il l’aime riche, puissante, mûrie, et son instinct l’attache à ces deux choses, fondamental : la terre, l’ordure.
Gourmand, paillard ! si je vous présente ce modèle, avouez-le : quelque chose manque à votre satisfaction. Ni le corps ne se suffit à lui-même, ni la doctrine qu’il nous enseigne n’est vaine. « N’applique point à la vérité l’oeil seul, mais tout cela sans réserve qui est toi-même. » Le bonheur est notre devoir et notre patrimoine. Une certaine possession, parfaite est donnée.
- Mais telle que celle qui fournit à Énée des présages, la rencontre d’une truie me paraît toujours augurale, un emblème politique. Son flanc est plus obscur que les collines qu’on voit au travers de la pluie, et quand elle se couche, donnant à boire au bataillon de marcassins qui lui marche entre les jambes, elle me paraît l’image même de ces monts que traient les grappes de villages attachés à leurs torrents, non moins massive et non moins difforme.
Je n’omets pas que le sang de cochon sert à fixer l’or."
Paul Claudel, Connaissance de l’Est (1900).

La première chose qui me frappe, c’est que sans Claudel nous n’aurions pas en français le traitement de l’énergie liturgique. L’insurrection de Claudel, ce qu’il appelle, lui, sa conversion, c’est tout simplement l’irruption du rythme au milieu de la littéralisation, de l’aplatissement philosophique et positiviste. Ce qu’il appelle sa conversion n’est rien d’autre que sa révolte physique, physiologique, par rapport à l’oppression scientiste et sirupeuse de la prose de son temps... On s’est moqué de l’aspect bougonnant et porcin de Claudel en oubliant que dans son apologie du porc (Connaissance de l’Est), il a voulu recharger la notion même de sacrifice. Il s’est dévoué, comme un porc qu’il était, à la grandeur du rythme. Quand Claudel, par exemple, s’exclame : « Salut grande nuit de la Foi, infaillible cité astronomique, c’est la nuit et non le brouillard qui est la patrie d’un catholique... », on pourrait trouver que ça a un petit côté tambour et trompette comme couplet. Mais c’est qu’il reprend la rhétorique militaire pour faire l’apologie d’un souffle nerveux et nocturne qui jusqu’à lui n’avait pas droit d’expression. Il se bat. C’est normal. Il n’y a qu’à regarder ce qui s’est passé depuis Claudel. Au moment où il écrit, vous voyez très bien la situation : mort du rythme/ Mallarmé vient de disparaître dans la Voie lactée... Au moment où nous parlons [mars 1983], c’est assez différent et tout se passe comme si en un siècle le point de vue de Claudel sur le martèlement des organes était devenu le symptôme numéro 1. Au point que chacun serait obligé de faire sa maladie ganglionnaire, péniblement sexiforme, quant à Claudel. Il est amusant de penser qu’il est au coeur même de ces préoccupations et qu’il en soit si peu question. Tout le monde y pense, tout le monde s’y réfère, tout le monde se situe par rapport à lui, tout le monde lutte contre lui, et personne n’en parle. Le protestantisme a gagné, mais dans quel état ! Puritanisme et inhibition d’un côté ; chiottes de l’autre.
Déjà, et très loin de nous, l’histoire de la N.R.F... Le fait de savoir si Claudel avait raison ou tort de se formaliser que Gide aille au corydonisme... Cette affaire est tranchée dans le bon sens, c’est-à-dire dans l’invasion corydonienne multilatérale et, grâce au ciel !, l’interdiction de Claudel n’a pas été écoutée. Claudel, comme père, n’a pas arrêté de se faire marcher sur les pieds, et tout le monde a passé outre à ses interdits, c’est son rôle. Le seul ennui, c’est qu’à s’imaginer qu’on a raison contre le père, on ne va pas forcément à autre chose qu’à la dissolution en magma. Claudel a tort, soit, mais il tient debout dans sa connerie principale. Et le corydonisme, à force de saturer l’atmosphère nous embête encore plus que la connerie de Claudel.
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