Citations sur Cartographie de l'oubli (25)
"Ici, on se sent parfois si seuls. Comme si le monde tournait dans un sens et que nous étions à l'arrêt. Ce n'est pas faute de faire de grands gestes."
p.41
Moi, le cinéma, je n’aime pas ça. Quand j’étais enfant, un idiot m’a dit que les meurtres étaient réels. Chaque coup de mitraillette, chaque pendaison, chaque lame sous la gorge, avaient lieu en vrai. Certains acteurs avaient le droit de ne jamais mourir, le reste, on en abusait comme on voulait. De la chair à canon, une image bien trouvée.
Il avait une chose, banale, anodine, qu’elle ne posséderait jamais. Née au mauvais endroit, dans un monde trop jeune. Comment consoler ça quand on est un enfant… Elle méritait autre chose. Elle aurait dû naître maintenant, en 2004, non, plus tard encore, en 2024, ou 2084, à supposer qu’il y ait encore une terre.
Chaque chose à sa place.
Il y avait de la joie, de l’entraide, un peu de violence, parfois.
Et l’isolement, mais les règles comprises, on met tout dans des cases.
Quand on est enfant, on ne se rend pas forcément compte. On sait qu’il y a une injustice, mais on ne peut pas mettre un nom dessus. On sait qu’il y a des endroits où on ne peut pas aller, mais dans un pays si sauvage, c’est normal, se dit-on.
Souvent, il avait entendu des colons parler des maltraitances qu’ils infligeaient aux indigènes. Il les assimilait à des bêtes, comme on le lui répétait sans cesse, mais il était forcé d’admettre, face à Hendrik Witbooi, qu’il s’était trompé. Ces Noirs, ils étaient bien humains. Ils souffraient eux aussi. Ce qu’on leur faisait subir avait un impact. Sur leurs désirs, sur leurs familles, sur leurs rêves.
Tuer un homme n’est pas une chose si affreuse, ce n’était même pas un Blanc.
Un mélange qui change une vie quand on est né en Namibie. Aujourd’hui, c’est une fierté pour certains, à mon époque, c’était autre chose. On se frottait la peau avec du savon, pensant que ça ferait disparaître la couleur. J’avais un copain, Moses, on se retrouvait en fin de journée et, pendant une heure, on essayait de devenir blancs.
La connaissance de son passé…
Il y a ce que l’on devine, ce que l’on apprend dans les livres, ce que l’on imagine et ce soir, peut-être, il y aura enfin ce que je sais avec certitude.
J’ai étudié l’histoire de ce pays, j’ai interrogé chaque personne que j’ai rencontrée, et là, devant moi, il y a ce témoignage. Un souvenir qui prend forme.
Pin’s, stickers, badges, écussons, tout ce qui brille, clignote, étincelle, a le plus de valeur. Ça a quelque chose d’enfantin. Une manière de reconquérir son passé, d’assimiler les origines qui façonnent une nation. Ils ont du respect, ce n’est pas une mascarade, et ceux qui les photographient – on sait pour quoi ce genre de photos sont faites –ne comprennent rien. Ce sont généralement des touristes béats. Des pantins aux fils apparents dont on devine chaque réplique.
Le Sud-Ouest africain leur apparut soudain comme un endroit terrible. Cette terre allait être le théâtre d’atrocités. Cela faisait presque deux années qu’ils étaient arrivés et c’était passé très vite, presque tranquillement, mais ce jour-là, ils comprirent le pourquoi de leur présence.
Le temps, ici, passait différemment qu’en Europe, ils en avaient fait l’expérience. À la fois plus lent – il arrivait que les soldats s’ennuient beaucoup –, mais aussi infiniment plus rapide. Une semaine pouvait couler sans que rien n’arrive, dans un paysage constant. Même les températures étaient identiques, jour après jour. La nouveauté, les rencontres impromptues, n’existaient pas. Mais aujourd’hui. Aujourd’hui, les choses s’accéléraient. La poudre des fusils allait tout remplacer et les cartes allaient être redistribuées.