Je dissimulais mes désirs dans des textes de fictions, enfant. Deux sœurs en fugue. Pourchassées par un monstre à deux têtes. Elles s’enfuyaient dans de sombres forêts. S’armaient de branches, de bâtons. Aujourd’hui, je ne cache plus mes désirs. Je voudrais que ce texte décime ma famille entière.
Peut-être que s’il meurt. Bouffé par un ours, fauché par un train. Peut-être que s’il tombe d’un douzième étage ou se noie dans un lac. Et si on lui tranchait la tête avec cette hache qui traîne derrière la maison ? Coupons la ligne de ses freins. Nous pourrions prier la foudre, trouver de la mort-aux-rats. L’étrangler avec sa cravate. Le couteau à pain suffirait pour trancher son excroissance, ses veines et sa langue. Peut-être que si nous pelions sa peau, mangions son cœur, peut-être qu’une fois le corps du père putréfié, la mère commencerait à agir comme une mère.
J’aurais voulu, pour ma sœur et moi, une mère debout. Qui traverse les couloirs. Arrache les portes, allume les lumières. Une qui hurle plus fort que les terreurs. J’aurais tellement voulu une mère stridente. Une mère à nous, pour nous, pour bercer nos cauchemars. Je l’aurais choisie avec iris, tympan et tambours. Elle aurait été toute en colère. Sans lignes de fuite ni fatigue. Une femme au ventre plein. A border les nuits sans étoiles. Elle nous aurait décroché des petits matins aux croissants, des couleurs et la lune. Serait accourue. Je lui aurais demandé de nous tenir la main. Pour traverser le monde. De brosser nos cheveux, d’empêcher le sang de couler. Mais nous savons très bien, ma sœur et moi. Depuis longtemps. Les mères n’existent pas.
L’enfance n’existe pas. Existent la peur du noir, les engelures et les loups.
Si je n’écris pas ce qui s’est passé quand j’avais huit ans, peut-être que ce qui s’est passé quand j’avais huit ans n’aura jamais eu lieu.
Je pourrai entrer en relation avec un homme le jour où je n’aurai plus rien qui puisse m’être pris ni volé. Le jour où je serai vidée de toute humanité, désensibilisée à la douleur et aux froissements de peaux, je pourrai dire à un homme, en toute sécurité, je t’aime.
Le père adore jouer. Les jeux l’excitent. Les stratagèmes élaborés lui plaisent au plus haut point. Il en a mal aux testicules. Repousser les limites de l’interdit lui demande beaucoup d’ingéniosité. Comment agresser ses enfants sans les pénétrer.
Si papa dit jappe, Je jappe. Si papa dit rapporte, Je rapporte. Si papa dit lèche ta patte, Je lèche ma patte. Si papa dit sens les fesses de ta sœur, Je sens les fesses de ma sœur. Si papa dit roule sur le dos, sale chienne, Je roule sur le dos et sale chienne, je deviens. Si papa dit gruge le soulier, Je gruge le soulier. Si papa dit mange tes excréments, Je mange mes excréments. Si papa dit tourne en rond, sale conne, Je tourne en rond et sale conne, je deviens. Si papa dit grogne, Je grogne et reçois un coup de pied ça t’apprendra à grogner après moé, sale chienne. Papa dit aussi les animaux, faut les attacher avec une chaîne. Si je refuse les rouli-roulades, les biscuits en forme d’os, les donne la papatte, il sort la laisse.
Je dissimulais mes désirs dans des textes de fiction, enfant. Deux sœurs en fugue. Pourchassées par un monstre à deux têtes. Elles s’enfuyaient dans de sombres forêts. S’armaient de branches, de bâtons. Aujourd’hui, je ne cache plus mes désirs. Je voudrais que ce texte décime ma famille entière.
Nous étions, ma sœur et moi, les victimes parfaites pour mon père. Nous avions toutes les deux un vagin.