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Citations sur La couleur de l'aube (30)

Rancœurs, haines, privations, je les accueillerai bientôt toutes. Sans distinction aucune. Comme des commères bavardes. Je porte au-dedans de moi tant d’autres femmes, des étrangères qui empruntent mes pas, habitent mon ombre, s’agitent sous ma peau. Pas une ne manquera à l’appel d’une jeune femme de trente ans que le temps a usée sur toute sa surface.
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Dieu, s'il a créé ce monde, je lui souhaite d'être torturé par le remords.
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De cette ville j'ai tiré une leçon, une seule : ne jamais s'abandonner. Ne laisser aucun sentiment vous amollir l'âme. Au lieu du coeur, une matière dure et rude avait pris place à l'intérieur de ma poitrine juste entre les deux seins. J'ai reconnu ma petite pierre grise. Et j'ai respiré très fort pour être bien certaine qu'elle tenait encore solidement à sa place.
Dans cette île, dans cette ville, il faut être une pierre.
Coincée dans ce tap-tap, je me laisse petit à petit envahir par le bavardage de Lolo, assise à mes côtés. ...
Lolo parle beaucoup. Parle trop. D'ailleurs en ce moment même, elle glousse déjà avec son nouvel amant, "son vieux" comme elle l'appelle. Soixante ans bien sonnés et qui a peur. Peur de vieillir. Et qui veut éprouver sa virilité dans le velours de sa jeunesse à elle, dans les eaux de jouvence de ses vingt ans. "Alors il paie", m'a encore répété Lolo en me dressant la liste de tout ce à quoi elle estime avoir droit : un voyage à Miami, une implantation de cheveux à la Naomie Cambell, "Fini Joyeuse, ces rallonges jamais aux couleurs qu'il faut pour faire des tresses interminables comme une Blanche", des cartes pour son téléphone portable et bien sûr des vêtements, des vêtements en veux-tu, en voilà. Elle m'a confié qu'après son premeir voyage à Miami elle reviendrait pour ne pas éveiller des soupçons mais qu'au second elle disparaîtrait dans les champs d'orangers en Floride. "Tu sais bien que la misère et moi nous ne nous entendons pas bien du tout. Je ne suis pas comme tous ces gens autour de nous qui attendent que Dieu, Notre-Dame du Perpétuel Secours, saint Thérèse, Agoué, le patron, le gouvernement ou la révolution vienne à leur secours. Personne ne viendra nous sauver, Joyeuse, personne. Alors le vieux il ne reverra plus Lolo." Il y a un mois, curieuse, je lui ai demandé "Ton vieux, il est vieux comment ?". Elle m'a répondu comme si, concentrée et pensive, elle cherchait des mots pour décrire une expédition dans une contrée lointaine, l'Antarctique ou le pôle Nord : "Vieux comme quelque chose qui m'est étranger, Joyeuse, comment te dire...Quelque chose que je ne connais pas. Vieux comme la neige, froid comme l'hiver."
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Mère eut un mari, beaucoup d'amants mais aucun homme ne la posséda. Aucun d'eux ne fut son seigneur ni son maître. Ils partagèrent à peine leur soulagement passager . Ils ne lui apprirent pas grand chose hormis certains gestes au lit. Ne lui donnèrent rien à part quelques dollars. Mère n'est pas femme à acheter la paix d'une maison en vendant son a^me;
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Contrairement à Angélique, Mère n’a jamais rien attendu de personne. Elle a répondu au malheur au coup par coup, l’encerclant quelquefois comme pour l’étreindre. La vie d’Angélique est un fruit dont elle aurait mangé la meilleure portion sans même s’en apercevoir, sans même en goûter le jus. Ceux qui l’approchent sont conduits à éprouver à son endroit une indulgence tiède qui ne débouche jamais sur une relation profonde et durable. Quelque part en elle est gravé ce signe qui distingue les perdants et qui finit par les isoler irrémédiablement de l’autre partie de l’humanité. Angélique est morte de cette mort lente que connaissaient les réprouvés. Angélique a attendu et n’a pas eu ce qu’elle espérait. Comme beaucoup de femmes, Angélique espérait tout et puisque ce tout n’est jamais arrivé, elle l’a perdu sur une seule mise. Attendre ce que l’on peut avoir et se rendre compte trop tard que l’on ne l’aura jamais fait une vie coulée dans un étroit moule de tristesse, une vie de vaincue. Mère est épuisée mais pas vaincue.
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Le Blanc nous a apporté le malheur d'une main et des promesses de bonheur de l'autre. Qui, à moins de n'être pas normalement constitué, ne voudrait pas de cette chose extravagante qui a pour nom le bonheur et que l'on a fait miroiter au loin ? Toujours au loin. Et c'est d'ailleurs pour nous prouver que ce bonheur était à portée de main, que John a partagé quelques uns de nos maigres repas, a payé des notes de pharmacie de Mère et, à une période de vaches maigres, a même consenti à régler les funérailles d'une cousine qui n'existe pas. Nous avons empoché l'argent en silence. Il a deviné le subterfuge mais a joué le jeu pour amuser sa mauvaise conscience de messager des cieux. D'autant plus que sur terre, il voulait de Joyeuse. Et la première République noire plie ses femmes à genoux, pour quelques dollars, un repas, des carrés de chocolat. John regardait Joyeuse, il la regardait et avait du mal à se retenir pour ne pas planter ses dents dans ce morceau de chair fraîche et la dévorer là, sous nos yeux. Et cela, Joyeuse le sentait. Joyeuse était déjà si différente de moi. Grande, pulpeuse. Si sûre d'elle. Si effrontée et si sexuelle. Oui, le mot est lâché, c'est bien ce qu'elle est Joyeuse. Sexuelle.
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Port-au-Prince a planté des graines empoisonnées en moi et l’arbre mortifère ne cesse de grandir, grandir. Port-au-Prince nous a échappé comme l’eau qui coule entre les doigts. Le désordre a grignoté chaque parcelle de cette terre et c’est aujourd’hui un désordre de l’âme. Nous ne pouvons pas guérir. Peut-être ne le voulons-nous pas ? Dans les quartiers de la périphérie, à douze ans, un jeune garçon est un vieillard : il a déjà expédié deux ou trois chrétiens vivants dans le précipice de l’éternité et a le cervelle brûlée par l’éther. Il a trop vu, trop entendu, trop accompli ; une gamine de treize ans est une femme avertie qui a à son actif deux ou trois amants et a déjà aidé les garçons à remplir le gouffre de la mort. Et si le malheur frappe un jour à votre porte, ne vous mettez pas en tête d’aller porter plainte. Ceux préposés à la défense des victimes s’arrangent pour poursuivre l’œuvre de dépouillement et les dépècent jusqu’à l’os.
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Il ne me reste plus que des mots de survie qui se cassent à mes dents et ce jour qui se déshabille avec des gestes d'arbre blessé. En approchant de la maison, je n'ai ni nom, ni visage. L'après-midi s'est brisée en moi en des milliers d'éclats de verre. Eclats lumineux de couleurs mauve et rose et jaune qui virevoltent, tourbillonnent et manquent de me suffoquer.
Une nuée d'oiseaux zèbre le ciel.
Je descends du tap tap et je regarde au loin l'après-midi saigner dans le bleu de l'horizon.
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Avant de rencontrer John je ne savais pas qu'on pouvait gagner sa vie à aimer les pauvres. Qu'aimer les pauvres était un métier.
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Incipit :

J’ai devancé l’aurore et j’ai ouvert la porte sur la nuit.
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