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Citations sur La couleur de l'aube (30)

Port-au-Prince a planté des graines empoisonnées en moi et l’arbre mortifère ne cesse de grandir, grandir. Port-au-Prince nous a échappé comme l’eau qui coule entre les doigts. Le désordre a grignoté chaque parcelle de cette terre et c’est aujourd’hui un désordre de l’âme. Nous ne pouvons pas guérir. Peut-être ne le voulons-nous pas ? Dans les quartiers de la périphérie, à douze ans, un jeune garçon est un vieillard : il a déjà expédié deux ou trois chrétiens vivants dans le précipice de l’éternité et a le cervelle brûlée par l’éther. Il a trop vu, trop entendu, trop accompli ; une gamine de treize ans est une femme avertie qui a à son actif deux ou trois amants et a déjà aidé les garçons à remplir le gouffre de la mort. Et si le malheur frappe un jour à votre porte, ne vous mettez pas en tête d’aller porter plainte. Ceux préposés à la défense des victimes s’arrangent pour poursuivre l’œuvre de dépouillement et les dépècent jusqu’à l’os.
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Contrairement à Angélique, Mère n’a jamais rien attendu de personne. Elle a répondu au malheur au coup par coup, l’encerclant quelquefois comme pour l’étreindre. La vie d’Angélique est un fruit dont elle aurait mangé la meilleure portion sans même s’en apercevoir, sans même en goûter le jus. Ceux qui l’approchent sont conduits à éprouver à son endroit une indulgence tiède qui ne débouche jamais sur une relation profonde et durable. Quelque part en elle est gravé ce signe qui distingue les perdants et qui finit par les isoler irrémédiablement de l’autre partie de l’humanité. Angélique est morte de cette mort lente que connaissaient les réprouvés. Angélique a attendu et n’a pas eu ce qu’elle espérait. Comme beaucoup de femmes, Angélique espérait tout et puisque ce tout n’est jamais arrivé, elle l’a perdu sur une seule mise. Attendre ce que l’on peut avoir et se rendre compte trop tard que l’on ne l’aura jamais fait une vie coulée dans un étroit moule de tristesse, une vie de vaincue. Mère est épuisée mais pas vaincue. « L’épuisement fait courber l’échine mais la défaite n’est pas belle. » Du jour où j’ai compris que quelque chose faisait tourner le monde contre moi et tous ceux qui me ressemblent, j’ai choisi de devenir l’exacte opposée d’une vaincue, la face contraire de l’épuisée
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Il ne me reste plus que des mots de survie qui se cassent à mes dents et ce jour qui se déshabille avec des gestes d'arbre blessé. En approchant de la maison, je n'ai ni nom, ni visage. L'après-midi s'est brisée en moi en des milliers d'éclats de verre. Eclats lumineux de couleurs mauve et rose et jaune qui virevoltent, tourbillonnent et manquent de me suffoquer.
Une nuée d'oiseaux zèbre le ciel.
Je descends du tap tap et je regarde au loin l'après-midi saigner dans le bleu de l'horizon.
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Et tandis que je danse et virevolte au milieu des corps tout autour de moi, Fignolé m'observe derrière son nuage de fumée et sourit à Ismona. Luckson s'approche et ne me quitte pas des yeux. C'était étrange de pouvoir le regarder de si près et d'être regardée par lui. Luckson, lui, ne dans pas. Pas la peine. Luckson sait que cette jeune femme qui passe de main en main est une torche qui brûle. Luckson sait que je suis déjà dans l'éblouissement. Dans le ravissement de lui. Il le sait. Pourtant je ne lui souris pas. Je ne lui parle pas. Au moindre sourire je peux être perdue. A la moindre parole aussi. Et je ne peux pas perdre.
Ismona m'a rejointe et nous avons ri de la gorge nue entre ces deux hommes.
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Yeux mi-clos, je veux être tranquille pour avaler ma honte. Encore un peu et nous aurions tous fait dans nos sous-vêtements. Moi y compris. Et nous serions restés dans notre pestilence sans broncher. Nous avons perdu tout respect de nous-mêmes. Mais on se fait à tout, même à perdre le restpect de soi.
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Au fil des ans, quelques filles ont mis au compte de mes manques une telle étrangeté. Elles avaient tort. Elles avaient tort, mais je ne leur ai jamais dit que tous ces manques, toutes ces privations, tous ces dangers et ces ruses avaient forgé ma capacité à survivre, à vivre sans amour. Peut-être que l'amour aurait pu me vaincre, alors de l'amour je me suis toujours méfiée.
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Je n'étais pas douée mais curieuse, avide de comprendre jusqu'où iraient ceux qui avaient écrit l'histoire du monde et qui voulaient que dans cette histoire je sois le ver de terre que l'on écrase sous le talon.
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Toi seul, Fignolé, avais ce pouvoir de prendre toutela place de mon enfance. Toi seul pouvais faire s'éteindre avant le temps les grâces de mon enfance. Et en moi surgissaient tout à la fois l'étonnement et l'émerveillement, la terreur et l'orgueil de te voir plus petit. Plus faible et très vite plus sauvage. Entre nous allait naître un amour pas ordinaire. Une union sacrée.
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Jamais je n'oublierai le jour où Mme Herbruch m'a demandé de l'aide our un grand banquet qu'elle préparait dans sa luxueuse demeure. Quand je traversai le salon jusqu'à la belle toilette en céramique bleue en dessous de l'escalier, je sentis le regard des invités prestigieux me brûler et me réduire à une définition d'essence. Pour ces bourgeois, mulâtres à la peau claire, je n'étais pas une jeune femme en herbe mais juste la femelle noire d'une espèce avec un simple appareil distinctif : deux seins et un vagin. Une espèce vouées aux cases, aux services ou au lit.
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Pasteur Jeantilus, les yeux fermés et tremblanty de tous ses membres, finit toujours par convoquer de sa voix caverneuses les anges du ciel et les démons de l'enfer qui tout à tour prennent possession des fidèles ou quittent leur corps. Le doigt pointé vers le ciel, il promène son regard sur nous et nous pétrifie. Du haut de sa chaire, comme d'une montagne, il souffle à pleins poumons la parole de Dieu. On dirait un vent qui s'engouffre au plus profond d'un bois agitant la crête des arbres en branches folles. Yeux fermés, âme tendue, il éprouve sa voix et son pouvoir sur cette vallée humaine.
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