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Citations sur L'Asturienne (16)

...l’écriture manuscrite qui est à l’imagination ce que le corps est à l’amour.
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Remontant dans le temps, il me fournit un mémoire universitaire intitulé « La droite belge et l’aide à Franco » où il apparaissait qu’en Belgique, pendant la guerre d’Espagne, la bourgeoisie s’était activée au sein d’associations charitables intitulées « Amitiés Belgo-Espagnoles » ou « Union hispano-belge » ou encore « Aide à la population espagnole » qui récoltaient des couvertures, des vêtements, des médicaments et des fonds à l’usage exclusif des troupes nationalistes. Venant de libéraux catholiques, sous un gouvernement qui refusait de prendre position et dans une Europe terrifiée par le péril rouge, tout cela était « normal », me dit Maurice. Même la France du Front Populaire, par son Pacte de non-intervention, s’était abstenue d’un soutien à la République espagnole. Quant à l’Angleterre, elle avait été la première à reconnaître, avant même sa victoire définitive, le gouvernement de Franco.
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A l’arrière de ce qui avait été, un siècle plus tôt, la Fabrique de Fer, se trouvait une colline arborée nommée le Bois Saint-Jean. Là, Frédéric m’avait désigné, mangés par la broussaille, des vestiges imposants et sinistres, noirs résidus de coulées de fonderie qu’on eût pu croire ratées et qui étaient, en réalité, criminelles.
- Les gens les nomment les cloches-tombes, m’avait-il dit. (…) Des tombes en forme de cloches.
Les morts qui s’y trouvaient n’étaient pas nommés. Aucun mémorial ne les signalait, ils faisaient partie de la masse des anonymes de la sidérurgie, ceux qui travaillaient sous la menace du métal en fusion et dont la disparition n’avait laissé aucune trace, pas le moindre cadavre, pas le moindre ossement, pas même un tas de poussière. Cela se passait souvent de nuit. La fatigue, une glissade en sabots dont les ouvriers étaient chaussés avant-guerre, ou un débordement soudain de la fonte tel du lait porté à ébullition. Ces accidents individuels, tus par les sociétés, non archivés, demeuraient dans la mémoire des gens. Frédéric se souvenait avoir assisté, enfant, à des funérailles dont le cercueil de taille réduite ne contenait qu’une petite fraction sauvée du corps de l’homme qu’on n’avait pu retenir dans sa chute vers le gouffre à 1600 degrés. D’autres, brûlés sur certaines parties du corps, en étaient fiers comme de blessures de guerre. Mais qu’en était-il du métallo disparu sans laisser la moindre trace dans une coulée devenue sa seule tombe ? Un cri, une fumée crépitante, puis plus rien, la rivière en fusion poursuivait son chemin.
Je le raconte comme je l’ai compris. La fonte qui avait mangé un homme n’était pas utilisée. Elle était, cette porteuse de malheur, jetée au Bois Saint-Jean. On l’abandonnait, refroidie et durcie, sous les maigres arbres du terril. Autant de cônes sombres, de sculptures archaïques. Point de sépulture, donc, pour les dissous de la coulée, mais une cloche-tombe, une tombe qui offrait l’apparence d’une immense cloche, monstre mélancolique et noir rejoint bientôt par des carcasses de voitures, des déchets de construction, des détritus en tout genre dont il faudrait bien, un jour, nettoyer la zone.
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A Reocin, le passé ne m’apparaît pas à la faveur d’une rencontre fortuite, mais grâce à un mémorial construit en bord de route, sur lequel je tombe, là aussi, par hasard. Dix-huit stèles en zinc, de différentes tailles, correspondant à autant de morts, trois hommes, six femmes, neuf enfants. J’apprends alors seulement, par un panneau explicatif, que ces gens ont été surpris, le 17 août 1960, à l’heure du coucher, par la rupture de la digue, dite de la Luciana, qui servait à retenir les résidus d’extraction que l’on nomme « stériles ». Plusieurs maisons et autant de familles anéanties sous trente mille tonnes de pierres et de boue. Le panneau reproduit des extraits de journaux de l’époque, ponctués de photos de cortèges funèbres. Un deuxième panneau, de même facture, placé à quelques pas du premier, résume les activités de l’Asturienne à Reocin en y mentionnant le souci du bien-être des travailleurs, photos du dispensaire médical et de l’économat à l’appui. De sorte que se côtoient, sur la même butte herbeuse, l’expression d’un deuil collectif et celle d’un bien-être planifié.
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Le quittant pour replonger dans une soirée de plus consacrée aux coffres, malles et armoires de la maison de ma mère, je me dis que l’écart entre lui et moi n’est plus seulement ce qui nous a attirés autrefois, à savoir une complémentarité dynamique entre nos origines familiales respectives ou nos manières d’argumenter ou de nous divertir. Ce qui s’est révélé au fil de nos rangements fastidieux existe par une différence supplémentaire, à mes yeux la plus poignante : la classe possédante possède, en plus du reste, des archives. Les ouvriers, rien.
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(…) ces pierres de formes et de couleurs variées, jaunes, bleues, vertes, laiteuses ou caramel. J’aperçois dans un coin deux blendes dorées où dorment une abeille et un moustique pétrifiés depuis des milliers d’années dans leur goutte de caramel translucide, petit cercueil précieux qui semble prévu pour qu’à l’ère des pesticides qui les exterminent, ces deux-là soient nos pharaons minuscules.
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Force est de constater que ces exercices de consanguinité lucrative, reconduits audacieusement à chaque génération, n’ont produit aucun rejeton taré. Pourtant je me souviens avoir été dûment chapitrée dans mon adolescence : se marier entre cousins produisait des idiots. On nous citait toujours un exemple à l’appui : dans telle ou telle famille « connue » on trouvait un individu qui bavait ou qui agitait les bras de manière désordonnée. Ou, pire, qui sans être zinzin avait l’air « commun ». Car chez nous, si personne ne rivalisait d’élégance, loin de là, il n’en fallait pas moins être bien bâti, ni trop gros ni trop maigre, se « tenir droit » et avoir « l’air distingué ». Je crois pouvoir dire que même les plus incultes avaient chez nous l’air « distingué » : on ne pouvait exister à moins. Quant aux femmes, Virginia Woolf aurait dit qu’elles « s’habillaient sans grâce mais se tenaient superbement ».
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La précision et la beauté des pages manuscrites, leur résilience dans le froid des caves, la touffeur des greniers, ce que j’imagine de la position des scripteurs, de leur manière de se placer sous une lumière rare, du geste de tremper la plume dans l’encrier, de la laisser courir, tout cela se révèle infiniment plus vivant que ce à quoi se résume aujourd’hui les échanges de courriels, les brèves de téléphone portable ou l’agitation des réseaux sociaux. Ces gens dont les phrases élégantes n’excluaient ni les émotions ni les doutes, me deviennent plus réels et plus chers que mes proches. (…)
L’écriture manuscrite est à l’imagination ce que le corps est à l’amour.
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Mon père m’aurait probablement répété ce que les directeurs de l’Asturienne, à l’instar de tous les industriels de la péninsule, avaient retenu de l’ère franquiste : le calme et la discipline revenus dans les usines, un redéploiement économique rapide, le décollage des investissements immobiliers qui enrichirait à millions Franco et ses amis, l’arrivée des autoroutes et du tourisme, le tout avec l’assentiment d’une population que la misère consécutive à la guerre civile avait réduite à la docilité. C’est ainsi qu’en mai 1946 Franco fit son entrée à Avilés où il se vit accueilli, comme la reine Isabelle II presqu’un siècle auparavant, par une foule nombreuse. Ceci en prémices à de plus vastes appuis, le Vatican, les Etats-Unis et même l’UNESCO, dans un monde hanté par la menace communiste.
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Isabelle II avait été mariée à l’âge de seize ans, pour des motifs dynastiques, à son cousin François d’Assise de Bourbon, dit Paquita, homosexuel notoire qu’elle trompa avec quelques gentilshommes dont l’identité nous est parvenue grâce à l’époux qui donnait leurs noms à ses chiens. Tout cela produisit en fin de compte onze enfants, dont le roi-consort saluait les naissances successives d’un sibyllin « Vous féliciterez Sa Majesté mon épouse d’être tombée enceinte et d’avoir heureusement accouché ».
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