Il paraît que l'humour est la politesse du désespoir.
Mes pensées ont dérivé vers Martin. Moi qui étais fils unique, j’avais trouvé un grand frère à vingt ans passés, ici, dans la boue. Était-ce la guerre qui rapprochait les gens à ce point ? Si notre rencontre avait eu lieu en période de paix, serait-on devenus aussi inséparables ? Notre amitié allait-elle survivre à ce conflit ?
Quand on y pense, c’est incroyable les dommages qu’un bout de métal peut faire sur un corps humain. Il y avait des gens (des amis !) coupés en deux, d’autres sans bouche ou sans visage. Il y avait des corps réduits en bouillie, dont il fallait racler les morceaux pour nettoyer la tranchée… Les mots rabaissent ces choses terribles. Elles ne sont pas imaginables. Allez, je referme...
En août 1944, la guerre était censée durer trois mois, et un an plus tard, on n'en voyait toujours pas le bout ! Alors on essayait de se raccrocher à ce qu'on pouvait. Les plus patriotes se disaient : "C'est dur mais je préfère ça que de vivre dans une France vaincue." Les humanistes pensaient : "Après une pareille boucherie, il n'y aura plus jamais de guerre. Nos enfants et les enfants de nos enfants vivront en paix." Les autres (j'en faisais partie) se demandaient plus prosaïquement : "Ca va durer encore longtemps, ce foutu cirque ?"