Ce qui importe, c’est de vivre à sa mesure cette tension vers la perfection, non pas celle d ‘un ailleurs mystique, d’une figure divine supérieure, mais très simplement la perfection d’une action concrète, tissée de gestes, de rythme, de vitesse et de chair.
Ce n'est décidément pas un organe ordinaire juste destiné à tenir, saisir, prendre, ce qui correspondrait à son versant animal. Ainsi la main fabrique, construit, façonne, mais également fait signe, trace, inscrit, montre. Tiens ! Il me fait signe. Quand la voix ne peut porter si loin la parole ou que les mots ne suffisent pas. La main est aussi celle qui inscrit et signe en bas de la lettre ou du document. La main signe et fait signe, elle introduit l'échange. Mes mains sont le lien entre mes pensées et le monde, elles sont la médiation et l'accompagnement, elles sont le sous-texte du dialogue.
Un jour, sur le trottoir, alors que je cherchais une boutique réputée en ustensiles de cuisine, un autochtone, qui souhaitait tisser furtivement un lien complice et enthousiaste avec ce Français identifié comme tel, m'adressa les paroles suivantes : Haï ! Ja no polo belo mo nodo ? avec des accents toniques ici et là, rendant plus incompréhensibles encore ces vocables mystérieux. Le passant repéta plusieurs fois la combinaison sonore, de plus en plus anxieux et tendu, bientôt gagné d'une profonde déception pour ne pas dire un accablement dépressif dont il ne sortirait pas devant le visage idiot et le regard de poisson que je devais afficher, moi le gaijin tout à fait interdit. Quand enfin réunissant toutes mes forces mentales, de concentration et d'interprétation, je pus m'écrier Ah ! Jean-Paul Belmondo ! Le soulagement fut extrême, les sourires s'épanouirent, immenses et interminables, les courbettes se multiplièrent, innombrables devant ce miracle et pour le lien établi, où chacun pourrait donc poursuivre son existence, ce matin-là, estampillée du sceau de la joie et de l'assurance que les humains pouvaient se croiser, se parler et peut-être même vivre ensemble.