Envisager d'être père c'est non seulement se résigner à l'idée de sa propre mort... mais c'est aussi renoncer à sa vie d'homme faillible pour devenir un fantasme qui n'aura droit qu'à l'erreur.
L'escroquerie idéologique c'est de convaincre qu'il existe une vérité. Le réel n'importe plus alors que dans la mesure où il peut se plier pour s'y conformer.
Ma fille est formidable. Elle et moi avons eu plus ou moins deux ans de tendre méfiance mutuelle, jusqu'à ce qu'elle commence à parler, brusquement. J'ai alors découvert l'étendue vertigineuse de sa soif d'information et sa volonté obstinée à s'adapter. Si je devais intégrer autant de découvertes révolutionnaires en si peu de temps, je deviendrais fou. Car le monde n'a rien de logique! Il est truffé de subtilités, de pièges, de fausses pistes, si bien qu'il fait être tenace et en veille permanente pour en suivre le flot. Dans son sillage, ma fille me contraint à tout repenser sous des angles forcement différents. Forte de sa minuscule vie, elle m'éduque. Je lui voue un authentique respect, bien distinct de l'affection instinctive qu'elle m'inspire.
C'est dans les mots ordinaires que se trouve la vérité.
Il m'est déjà pénible d'adopter un comportement anodin avec ma boulangère dont je ne sais rien, alors comment m'y résoudre avec quelqu'un que je connais génitalement?
- Donc alors, toi, t'es le genre de papa à offrir un animal vivant à sa fille pour évacuer à Bon compte une probable culpabilité due à une longue absence?
- Ouais !
- Et bien sûr, comme un père prévoyant, tu l'as fait tatouer, stériliser, désinfecter et vacciner...
- Ah nan!
- La prévoyance, c'est ton domaine.
- Jamais je ne me permettrais d'empiéter sur tes prérogatives! Dieu m'en préserve! Moi, je suis juste le genre à offrir des chatons...
Il m'arrive de croire, aux rares moments d'euohorie, que je me suis affranchi de lui... Mais ça ne dure jamais bien longtemps...
Il n'est pas une heure sans qu'il ne me remonte à la surface, pour le meilleur ou pour le pire. Je n'ai pas la certitude que nous soyons reellement séparés.
Je suis en lui, il est en moi. Je suis mort, il est en vie...c'est un mystère.
- Dis donc , t'as pas l'air de rayonner de bonheur !
- Tu parles ! Je viens de livrer un scénario à infogames et ils me l'ont refusé : " Trop adulte "...Tout ça parce que j'ai fait une scène où un orque mange un pingouin !
...
- Et c'était pour quel jeu ?
- Rikiki le petit pingouin .
Alors tout le monde se sent pousser des opinions ... c'est qu'on se sent concerné quand on a des opinions ... on se donne l'illusion de la lutte parce que c'est à la mode, çà fait "citoyen". Mais ce sont des luttes bon marché qui permettent de rentrer à la maison à l'heure du vingt heures... Des combats qui se résument à évoquer qui Jaurès qui De Gaulle au dîner, entre les raviolis et le caprice des dieux avant d'aller glisser mollement son bulletin dans l'urne.
Ma mère elle dit : "ce n'est pas le chemin qui est difficile, c'est le difficile qui est chemin." En même temps, ma mère elle dit beaucoup de conneries