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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Le roman de la parole politique et de la quête du sens. Une grande réussite.

Publié en septembre 2012, le sixième ouvrage de Mathieu Larnaudie confirme, après le magique "Les effondrés" en 2010, que l'on tient là un "grand" de la littérature contemporaine.

Une prémisse certes étonnante mais, apparemment, simple : Müller, plume aussi réputée que discrète au service de divers politiciens, s'est, suite, sans doute, à un échec électoral de son employeur, retiré à la campagne, dans une grande propriété isolée, nantie d'un immense parc, qu'un jardinier embauché pour l'occasion a rapidement entrepris de magnifier, parc qui est aussi surplombé par un viaduc romain, dont les candidats locaux au suicide prennent la fâcheuse habitude d'user comme ultime plongeoir...

Curieusement rythmé par les écrasements - dont l'impact véritable ne se révèle que peu à peu -, les séries télévisées et les verres de chartreuse comme salvateurs refuges, le temps s'écoule (à une vitesse qui surprendra le lecteur), tandis que Müller cherche à écrire le discours parfait, hors de tout commanditaire cette fois...

Tout en fausse douceur, cette réflexion profonde, déguisée en méditation désabusée, sur la parole politique - sur la politique elle-même en fait -, masque aussi, en évoquant Cicéron ou les tribuns français du XIXème siècle, une analyse terrible de la névrose obsessionnelle et de la quête de sens... Au fil des jours et des nuits qui se succèdent dans une paisible torpeur que troublent uniquement suicidés et gendarmes venant relever les corps, Mathieu Larnaudie réitère aussi le miracle d'écriture qui hantait déjà "Les effondrés" : une capacité sans doute unique aujourd'hui à nous fournir, dans la même phrase ou le même paragraphe, le "film" lui-même et le commentaire du réalisateur (ou le "making of"), forçant élégamment le lecteur, avec un narrateur mis en scène cette fois-ci, à un recul permanent et heureusement troublant.

Une lecture essentielle.

"Le premier de mes morts tomba sur les coups de six heures. Nul ne peut savoir, bien sûr, si, avant de basculer dans le vide du haut des quarante mètres de surplomb où il fomentait son plongeon définitif tandis que, dans le parc, Marceau s'affairait à la culture de ses plants, il avait vu ce dernier creuser, bécher, rouler ou fumer l'une de ses continuelles cigarettes. Et si, en effet, il avait regardé en dépit de tout vertige vers le fond du précipice et avait vu Marceau s'agiter ou immobile en contrebas, nul ne peut savoir non plus, évidemment, si, gêné, il avait hésité un instant sur le seuil de sa chute par crainte de se répandre, tombé de nulle part, à quelques pas d'un honnête travailleur, d'un innocent jardinier, ni si lui avait répugné la perspective d'exhiber l'impudeur de son corps brisé, écrabouillé, devant des yeux inconnus."

"Je restais livré au calme nu de mon acharnement. Une impossible frénésie m'animait. Invariablement, continuellement, fiévreusement le plus souvent, machinalement parfois, dans mon bureau je consultais, prélevais, synthétisais, composais, rédigeais ; sur l'estrade de bois, les mains agrippées aux bords de mon pupitre, les mains voletant dans les airs, les mains tendues devant moi, les mains ouvertes et démonstratives, les poings fermés et volontaires, je prononçais les plus aboutis de mes discours."
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Ecoeuré par le monde politique, l'obséquiosité mielleuse des courtisans, la vacuité du discours politique, Müller, plume d'un ministre viré après la défaite de celui-ci aux élections, s'est retiré dans sa maison, une demeure loin de tout en pleine campagne.

Là, pendant que Marceau, son jardinier, transforme avec une grande diligence et efficacité son terrain en un parc idéal, Müller tente lui d'écrire le discours politique parfait, un discours sans commanditaire, sans corps ni voix. Mais il semble en même temps convaincu de l'impossibilité de réaliser cette ambition, vu la manière dont il froisse et jette dans sa poubelle les feuilles à peine noircies de ces tentatives de discours.

Ce rythme de la table de travail et des saisons qui passent dans le parc embelli va être mis à mal par les corps disloqués successivement découverts dans le jardin, corps de suicidés se jetant du viaduc qui traverse la propriété, par les gendarmes qui viennent constater les décès et par les familles venant se recueillir dans le parc.

Flatterie et cruauté du langage politique sont au coeur du roman. Mais Acharnement ne se limite pas à une critique de la parole politique en tant qu'instrument de conquête du pouvoir, et fournit aussi une image fascinante de l'interaction entre la représentation du monde par le langage – politique et littéraire - et le monde lui-même.

Acharnement est aussi un roman totalement fascinant par sa temporalité, par l'évolution de ce couple Müller – Marceau, la dislocation de leur équilibre, leur détachement, leur chute. En prime – en continuation des Effondrés – on peut y lire des portraits très inspirés et extrêmement réalistes de figures politiques.

« le premier de mes morts tomba sur les coups de six heures. Nul ne peut savoir, bien sûr, si, avant de basculer dans le vide du haut des quarante mètres de surplomb où il fomentait son plongeon définitif tandis que, dans le parc, Marceau s'affairait à la culture de ses plants, il avait vu ce dernier creuser, bêcher, rouler ou fumer l'une de ses continuelles cigarettes. Et si, en effet, il avait regardé en dépit de tout vertige vers le fond du précipice et avait vu Marceau s'agiter ou immobile en contrebas, nul ne peut savoir non plus, évidemment, si, gêné, il avait hésité un instant sur le seuil de sa chute par crainte de se répandre, tombé de nulle part, à quelques pas d'un honnête travailleur, ni si lui avait répugné la perspective d'exhiber l'impudeur de son corps brisé, écrabouillé, devant des yeux inconnus. »
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