Journal d'été d'un ado déjanté

Je n'ai que seize ans, je ne suis qu'un ado, mais je sais surtout que je ne suis pas tout à fait comme les autres, et c'est ma force.
Un peu déjanté, un brin caractériel, des fois paumé, mais la tête sur les épaules. Et aujourd'hui, j'en suis sûr, la musique rock, d'une façon ou d'une autre, ce sera vraiment ma vie. Parce qu'après tout, Twain et Pierre ont raison, quand on croit en ses rêves, rien n'est impossible. Et les miens, j'y crois vraiment plus que tout. Pour moi bien sûr, mais aussi pour Pierre, Gui, Elsa et avant tout, pour ma mère.

Moi, je suis pas un scientifique. J'ai jamais été très doué en maths et en sciences, même si je me débrouille comme je peux pour avoir la moyenne. Je préfère le français et l'histoire.
De toute façon, l'école, c'est chiant. Le seul cours que j'aime, c'est musique. Et pour l'année à venir, j'ai pu m'inscrire dans un cours facultatif qui aura lieu les mercredis. J'espère juste que le prof sera pas trop nase.
Je fais des efforts pour Pierre, et peut-être même pour Guillaume, je sais que j'ai du potentiel. Avec mon parcours de vie, plus d'un aurait arrêté l'école à quinze ans. Plus d'un serait fiché chez les flics. Mais je veux pas entrer dans les statistiques. Je vaux mieux que ça.
Avec les mauvaises fréquentations que j'ai eues, j'aurais pu tomber facilement dans la délinquance. Clopes, drogues, alcool... La dope, on m'en a déjà proposé. Je m'en tiens aux pétards, ça me suffit. Pas que j'ai jamais eu envie d'essayer autre chose, faut pas se voiler la face, mais je sais pertinemment que si je plonge, rien qu'une fois, je m'en relèverai pas. Les paradis artificiels me feraient du bien, me feraient oublier... Oublier mes parents, ma grand-mère, mon enfance instable, mes conneries, ma colère, mes doutes, mes peurs... Je m'y perdrais, m'y noierais... Et j'en voudrais plus, toujours plus, jusqu'à la dose de trop.

Quand je reviens vers la table, Guillaume m’observe, le visage fermé, les bras repliés contre son torse.
— J’avais dit pas de trou !
— J’ai pas dû entendre.
— Tu te fous de moi ?
— J’oserais pas.
Je le toise sans ciller. Elsa et Mia retiennent leur respiration.
Guillaume fait un pas vers moi, un doigt commandeur en direction de ma poitrine.
— Ce soir, dès que tu reviens des cours, on va prendre le temps de discuter. Je crois que les vacances ne t’ont pas fait que du bien.
— Tu seras encore là ce soir ? T’as pas une vie à côté ?
— Si, et je te conseille pas de croiser ma copine un jour, Fred. Avec les heures supp’ que je me coltine rien que pour ton cas, elle te déteste.
Je lui envoie un sourire moqueur, ses yeux restent froids. Putain ! C’est pas moi qui me suis mal réveillé ce matin, c’est lui. Ou alors, il s’est pris la tête avec sa meuf avant de venir. Comme c’est parti, il va vraiment me passer un savon, ce soir.
Il nous regarde tous les trois et nous ordonne d’une voix sèche :
— Allez, maintenant, dépêchez-vous, vous êtes dehors dans moins de dix minutes !
Je peux pas m’empêcher de remarquer avec ironie :
— Tu nous chaperonnes pas jusqu’au lycée ?
Guillaume nous tourne le dos en s’exclamant :
— Dès que t’es de retour, Fred, dans mon bureau et sans faute !
Bordel ! Ça va chier !