AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Morgane, tome 1 : Fée urbaine (14)

Une odeur d’encens planait dans le studio où un musicien de jazz faisait hurler sa trompette. Le décor était minimaliste : un matelas posé directement sur le sol, des coussins et une chaîne hi-fi, derniers vestiges de l’antre du jeune homme.

Julien alluma des dizaines de chandelles qu’il disposa de manière à éclairer subtilement tous les coins sombres. Alors que les flammes dissipaient l’obscurité, les contours de la pièce se dessinaient. Le studio n’était plus qu’une grande pièce dépouillée et sans âme, prête à recevoir les meubles du prochain locataire. Ce vide lui donnait un tout autre cachet.

Je m’approchai de la fenêtre. Dans le ciel, les étoiles brillaient, ces précieux diamants qui, au matin, tomberaient dans les nuages pour faire s’abattre sur la ville un orage aux gouttes de pluie scintillantes… Et au centre du ciel, dans toute sa splendeur, la lune pleine nous poignardait de ses puissants rayons.

Ce soir, la reine de la nuit était notre complice…

Nous allions passer l’une de nos dernières nuits ensemble et nous avions ce grand espace à notre disposition. Nous pouvions y créer un ballet moderne, y faire une exposition de corps humains ou y peindre des œuvres surréalistes si telle était notre fantaisie. Nous pouvions écouter Vivaldi à tue-tête en jouant les chefs d’orchestre ou hurler à la lune en imitant le loup. La nuit, tout était permis…
Commenter  J’apprécie          30
Je ne traînai pas dans la rue bien longtemps. J’étais trop intelligente pour cela. Je me fis des copains plus âgés, qui sortaient dans les boîtes de nuit. Je me teignis les cheveux en rose et je me perçai le nombril.

Je sortis de la pénombre et commençai à danser sous les feux des projecteurs. Adolescente à la découverte de sa sexualité, je partais faire la tournée des discothèques les plus branchées. Avec mes fausses cartes d’identité, je rentrais dans tous les clubs, où la drogue se distribuait comme des bonbons. Des jaunes, des bleus, des rouges, des verts…

Incroyable comment ces petites pilules pouvaient te faire oublier le con qui t’avait plantée là ou la baffe que ton vieux t’avait donnée…

La nuit venue, nous endormions notre conscience, et nos enfers personnels devenaient un feu de joie autour duquel nous dansions. La nuit venue, tous mes amis se croyaient heureux. Moi, au moins, je savais que je ne l’étais pas. J’étais vide en dedans.

Comment peut-on se sentir vide à quinze ans, alors que la vie a encore tant à nous offrir ?

C’est qu’on est vulnérable, on n’a pas encore fabriqué notre bouclier, forgé notre carapace. Les loups rôdent, les vautours guettent, et si l’on n’est pas vigilant, on tombe entre leurs griffes…

J’étais maintenant une dure à cuire, mais franchement, je n’y croyais pas du tout. Derrière cette belle jeune femme se cachait une petite fille rêveuse qui dormait encore avec Monsieur l’Ourson.

Papa, je ne voulais que dans tes bras être serrée, mais tu avais les bras cassés…

Mon père n’avait rien contre le fait que je sorte dans les discothèques, même à mon âge. Il s’en balançait que je ne rentre pas coucher, il n’en dormait que mieux, ce con, sur ses deux oreilles bien bouchées. Pour lui, j’étais une petite pute qui n’avait rien de mieux à faire que de courir après les hommes. Alors, c’est ce que je fis.

Je me mis à découcher... et je commençai à coucher. À quinze ans, j’étais déjà une grande fille...

Avec ce déménagement, j’avais tout perdu : ma mère, mon enfance, ma virginité. Malgré cela, un feu intérieur commença à brûler en moi. Je crus tout d’abord que c’était de la haine, mais il s’agissait plutôt d’une fureur de vivre. Un intarissable goût de la vie qui me donna l’espoir de sortir un jour de ce gouffre où je m’étais enlisée. Le gouffre de l’adolescence...

Ma mère, pendant que je mendiais de l’affection, travaillait dans un pays africain en voie de développement à un projet d’urbanisation. Je l’admirais beaucoup, et je lui pardonnai d’être partie.

C’était mon rêve aussi.

Partir.

Comme un oiseau tropical espérant retourner dans sa forêt, je rêvais de retourner quelque part, comme si je n’étais pas vraiment née ici.

Après un an en terre africaine, où elle menait une vie excitante et pleinement satisfaisante, elle décida de s’y établir. Nous entretînmes une correspondance de cinq ou six lettres par année. Elle devint pour moi davantage une amie qu’une mère. Lorsque la vie pesait de tout son poids sur mes frêles épaules, c’était elle qui me donnait de l’espoir. Je me disais que moi aussi un jour je partirais.

Je sentis monter en moi cette irrépressible envie de partir. L’envie de tout lâcher pour poursuivre un rêve d’aventures, du canal de Suez jusqu’à la Terre de Feu, traversant l’Atlantique pour longer les côtes de l’Afrique jusqu’au delta du Nil. Le désir d’une longue fuite sur les immuables chemins du monde…
Commenter  J’apprécie          30
Je ne traînai pas dans la rue bien longtemps. J’étais trop intelligente pour cela. Je me fis des copains plus âgés, qui sortaient dans les boîtes de nuit. Je me teignis les cheveux en rose et je me perçai le nombril.
Je sortis de la pénombre et commençai à danser sous les feux des projecteurs. Adolescente à la découverte de sa sexualité, je partais faire la tournée des discothèques les plus branchées. Avec mes fausses cartes d’identité, je rentrais dans tous les clubs, où la drogue se distribuait comme des bonbons. Des jaunes, des bleus, des rouges, des verts…
Incroyable comment ces petites pilules pouvaient te faire oublier le con qui t’avait plantée là ou la baffe que ton vieux t’avait donnée…
La nuit venue, nous endormions notre conscience, et nos enfers personnels devenaient un feu de joie autour duquel nous dansions. La nuit venue, tous mes amis se croyaient heureux. Moi, au moins, je savais que je ne l’étais pas. J’étais vide en dedans.
Comment peut-on se sentir vide à quinze ans, alors que la vie a encore tant à nous offrir ?
C’est qu’on est vulnérable, on n’a pas encore fabriqué notre bouclier, forgé notre carapace. Les loups rôdent, les vautours guettent, et si l’on n’est pas vigilant, on tombe entre leurs griffes…
J’étais maintenant une dure à cuire, mais franchement, je n’y croyais pas du tout. Derrière cette belle jeune femme se cachait une petite fille rêveuse qui dormait encore avec Monsieur l’Ourson.

Papa, je ne voulais que dans tes bras être serrée, mais tu avais les bras cassés…

Mon père n’avait rien contre le fait que je sorte dans les discothèques, même à mon âge. Il s’en balançait que je ne rentre pas coucher, il n’en dormait que mieux, ce con, sur ses deux oreilles bien bouchées. Pour lui, j’étais une petite pute qui n’avait rien de mieux à faire que de courir après les hommes. Alors, c’est ce que je fis.
Je me mis à découcher... et je commençai à coucher. À quinze ans, j’étais déjà une grande fille...

Avec ce déménagement, j’avais tout perdu : ma mère, mon enfance, ma virginité. Malgré cela, un feu intérieur commença à brûler en moi. Je crus tout d’abord que c’était de la haine, mais il s’agissait plutôt d’une fureur de vivre. Un intarissable goût de la vie qui me donna l’espoir de sortir un jour de ce gouffre où je m’étais enlisée. Le gouffre de l’adolescence...

Ma mère, pendant que je mendiais de l’affection, travaillait dans un pays africain en voie de développement à un projet d’urbanisation. Je l’admirais beaucoup, et je lui pardonnai d’être partie.
C’était mon rêve aussi.
Partir.
Comme un oiseau tropical espérant retourner dans sa forêt, je rêvais de retourner quelque part, comme si je n’étais pas vraiment née ici.
Après un an en terre africaine, où elle menait une vie excitante et pleinement satisfaisante, elle décida de s’y établir. Nous entretînmes une correspondance de cinq ou six lettres par année. Elle devint pour moi davantage une amie qu’une mère. Lorsque la vie pesait de tout son poids sur mes frêles épaules, c’était elle qui me donnait de l’espoir. Je me disais que moi aussi un jour je partirais.
Je sentis monter en moi cette irrépressible envie de partir. L’envie de tout lâcher pour poursuivre un rêve d’aventures, du canal de Suez jusqu’à la Terre de Feu, traversant l’Atlantique pour longer les côtes de l’Afrique jusqu’au delta du Nil. Le désir d’une longue fuite sur les immuables chemins du monde…
Commenter  J’apprécie          10
Cinq heures du matin, quelque part dans la plaine hongroise...
J’étais à bord d’un long train silencieux, alourdi par le sommeil de ses passagers. Le paysage défilait devant mes yeux rougis par la fatigue et les larmes. Tout en écrivant ces dernières lignes, je jetais un œil sur la campagne subtilement éclairée par la lune.
J’étais là, j’étais seule, j’étais bien.
Ces larmes étaient des larmes de fatigue et de soulagement.
Ces larmes étaient des larmes de bonheur.
Malgré l’obscurité et l’apaisante fraîcheur de la nuit, je ne trouvais pas le sommeil. Je ne voulais pas dormir.
Je voulais sentir en moi cette nuit qui s’achevait ; regarder les étoiles faiblir devant cette source de lumière encore minime qui pointait à l’horizon ; soupirer de bonheur devant l’astre du matin s’étirant de tous ses feux…
Je voulais sentir l’aube de ma renaissance.
Nous nous rapprochions de la frontière hongro-roumaine. J’avais les mains moites : les contrôles, de tout genre, m’inquiétaient. Je m’imaginais accusée d’un crime que je n’avais pas commis, traînée de force par des gardes armés et jetée dans un cachot sombre et nauséabond en attendant ma sentence...
Je me faisais du cinéma. Je me faisais sans cesse du cinéma. Au lieu de chercher des sensations fortes en écoutant des films réalisés par des gens qui avaient déjà tout vécu, je vivais ma propre vie comme un long métrage.
Faire du cinéma ou jouer de la musique, partir à l’aventure en Thaïlande ou au Yukon, l’important était de ne pas se laisser avaler par le système, de ne pas laisser la société voler l’essence de notre jeunesse.
On pouvait très bien passer notre vie à parcourir les routes de l’Amérique si c’était ce qui nous permettait de survivre ; de toute façon, il n’y avait plus rien à faire nulle part. Toutes les révolutions avaient été faites, les grandes idées, pensées. Les inventions géniales étaient déjà toutes brevetées : la voiture autonome, le casque sans fil, la tablette et le téléphone portables, qui faisaient maintenant autant partie de nous que nos propres mains, dans lesquelles ils sont toujours incrustés.
Ce n’était pas facile d’arriver après des milliers d’années d’évolution. Impossible de se prendre pour la dernière merveille du genre humain, il y en avait eu tant d’autres avant nous. À nous, la génération de la réalité virtuelle, il ne nous restait plus qu’à vivre notre vie comme un grand film. Car à dix-sept ans, tout était possible, ce n’était qu’une question d’imagination...
Commenter  J’apprécie          00
Flash-back…
Julien entra en scène : on passa du noir et blanc à la couleur, on alluma des projecteurs, on joua avec la musique au gré de nos humeurs. La vie devint un grand plateau de tournage...
Julien et moi nous étions rencontrés alors qu’il était en terminale et moi, en seconde. Toujours seul à la cantine du lycée, personne ne s’intéressait à lui (ou était-ce lui qui ne s’intéressait à personne ?...). Moi, je décelai derrière son apparence de garçon sage le poète anarchique qu’il était, anéanti par les strictes règles du collège privé qu’il avait fréquenté.
Nous devînmes vite inséparables ; moi, l’effrontée timide, et lui, le bourgeois révolté. Il était l’ami à qui je pouvais dire : « Est-ce que je peux dormir chez toi ce soir ? On lira des poèmes de Baudelaire et de Prévert. On s’endormira sur ton lit en se serrant bien fort pour oublier qu’on est presque déjà vieux et que le monde n’est pas aussi merveilleux qu’on nous l’a fait croire… »
Julien était un passionné. Je l’avais tout de suite su en découvrant la flamme qui brillait au fond de ses yeux bleus. Nous n’étions qu’amis, mais lorsqu’il me regardait avec ses petites lunettes rondes sur le bout du nez et ses cheveux blonds dont quelques mèches lui retombaient devant les yeux, je ressentais parfois une drôle de chaleur à la poitrine...
Doux, mais bouillonnant ; introverti, mais créatif. Lorsqu’il avait envie de hurler ses sentiments, de laisser déborder ce trop-plein d’émotion qu’il retenait, il émanait de lui une inoffensive violence, comme si quelques forces contraires se livraient un combat en son être. Il peignait des tableaux de la vie urbaine, la vie de Paname, notre Ville lumière, réconfortante et rassurante, cruelle et impersonnelle, belle comme ses statues, sale comme ses clochards…
Sa passion pour la vie me passionna.

Les poings fermés, le cœur en ébullition, l’esprit vagabond, nous traversâmes notre crise d’adolescence.
Nous deux, c’était à la vie, à la mort.
À la mort... Cette mort que nous aimions frôler pour nous prouver que nous étions bien vivants. Nous nous risquions parfois la nuit à escalader, par les échafaudages, des édifices en construction. Sur les toits, au sommet du monde, nos rires se perdaient dans le vent. La mort n’avait pas voulu de nous : la vie nous ouvrait grand les bras.
Nous avions soif d’absolu. Nous n’acceptions pas la réalité telle qu’elle était, alors nous rêvassions, pour survivre. Nous savions que nous risquions de passer de l’autre côté, du côté de la folie, comme tous ces poètes et chanteurs utopiques morts avant l’heure. Mais nous étions en quête d’un monde meilleur.
Nous imaginions une route. Une route rectiligne qui ferait le tour de la terre. Nous n’aurions qu’à marcher, sans regarder derrière, seulement les nuages dans le ciel. Et le monde entier nous appartiendrait.
Nous cherchions une route…
Commenter  J’apprécie          00
Julien me fit découvrir toute la magie de la musique classique. Ces cuivres, ces cordes, ces bois qui venaient nous chercher au plus profond de notre âme. L’émotion était là, dans ces sons qui me portaient au-delà de la réalité. Des sons voyageurs avec lesquels je m’évadais de la ville, traversais l’Atlantique et volais jusqu’au-dessus du Grand Canyon, terre rouge sous le ciel bleu, mon rêve de petite fille…
Julien aimait particulièrement l’opéra. Il me fit découvrir l’opéra italien : Rossini, Bellini, Verdi…
« Cette musique, c’est l’essence même du rêve, me disait-il. On se laisse porter par les violons, le clavecin et les percussions et, à la toute fin, c’est comme un grand rêve qui s’achève. C’est pour ça qu’on pleure même si on ne comprend pas les paroles. On pleure pour la beauté du rêve... »
Notre rêve devint l’Italie. Une Italie romantique recouverte d’étendues de vignes mûrissant au soleil ; une Italie de carnaval et de masques, qui voilaient notre corps pour dévoiler notre âme ; une Italie prospère où les marchands d’épices allaient commercer sur les canaux de Venise encombrés de gondoles dorées ; une Italie parsemée des ruines d’un empire disparu, qui avait vu naître des tyrans et des génies.
Du fond de notre banlieue parisienne, l’Italie devint notre terre promise.

Nous aimions rêver, mais aussi nous questionner :
Pourquoi étions-nous sur la terre ?
Où allions-nous après la mort ?
Pourquoi certains naissaient dans l’opulence et d’autres, dans la pauvreté ?
Pour les hommes se faisaient-ils la guerre, alors que la vie est si courte ?
Qui dirigeait véritablement la planète ? Qui tirait les ficelles ?
Qui nous disait quoi porter, quoi manger, quoi écouter, quoi regarder ?
Étions-nous réellement libres ?...

Et lorsque nous en avions assez de nous entendre philosopher, nous nous laissions transporter au cœur du silence...

Nous n’étions ni des adultes ni des enfants, des êtres sans étiquette, invisibles aux yeux de la société. Nous n’étions rien du tout, mais nous marchions la tête haute. Nous ne savions où aller, quel chemin prendre, dans quelle direction nous tourner, mais nous avancions, le cœur vibrant de liberté.
La seule chose que nous avions était notre amitié. La plus belle chose que nous avions était cette amitié. Nous étions les meilleurs amis du monde, jusqu’à ce fameux soir d’août…
Commenter  J’apprécie          00
Une lente complainte de blues faisait battre nos cœurs enflammés et frémir nos corps déchaînés. Il prit doucement ma tête entre ses mains et m’embrassa passionnément. Ce n’était plus un simple baiser d’amitié : mon cœur arythmique perdit un battement alors que nos deux bouches fusionnaient.
Je savais que cet acte allait avoir des répercussions sur notre relation, mais je ne pouvais pas résister. Je ne voulais pas résister.
Pourquoi retenir un élan ?
Pourquoi contenir une passion ?
Le temps saurait nous montrer que nous étions des êtres éphémères ; il fallait en profiter.

Nous nous déshabillâmes, observant nos corps à la lumière des chandelles. Nous étions étendus sur le lit. Ses mains caressaient mes cheveux, mes épaules...
Nous nous laissâmes transporter par ces désirs, ardents et interdits, que nous avions repoussés tout l’été de peur qu’ils nous portent à faire des folies. Ces désirs avec lesquels nous trouvions le sommeil, espérant qu’ils seraient disparus au matin.
Une force de la nature nous unissait, un champ magnétique dont nos corps seraient prisonniers jusqu’à ce que nous eussions étanché notre soif de l’autre.
Je n’avais jamais ressenti une telle symbiose amoureuse. J’avais commencé très tôt, trop tôt, à coucher avec des garçons. Mais je ne m’étais jamais permis d’éprouver des sentiments. Je savais qu’au matin, j’en souffrirais. Julien avait fragmenté ma carapace.
Commenter  J’apprécie          00
Lorsque mes vieux – qui n’étaient pas si vieux – commencèrent à parler de déménager, de fréquenter d’autres personnes, de changer d’air, je compris que j’étais une erreur de parcours, une surprise arrivée un peu trop tôt dans leur couple. J’avais tout chambardé dans leur vie, et ils s’étaient perdus, entre les beuveries du week-end et les boîtes de couches. Il ne restait plus de leur amour qu’une enfant qui pleurait...

Mes parents s’étaient rencontrés en chantant « We Are the World ». Ils voulaient sauver le monde à grands coups de « je t’aime ». Mais sans crier gare, les années quatre-vingt-dix leur étaient tombées dessus, avec la guerre en Irak et les attentats. Inspirés par tant de nouveautés, ils se trouvèrent un autre jeu que celui des mamours, beaucoup plus moderne et excitant : la guerre. Je crois qu’ils trouvaient cela aussi bon que l’amour. Avec la guerre, on avait toujours la satisfaction que procuraient le pouvoir et la domination. Avec l’amour, on ne réussissait qu’à faire des enfants...
Mes parents se séparèrent lorsque je n’étais encore qu’un petit bout de femme. J’avais de longs cheveux châtains, que ma mère adorait tresser, et les yeux verts, avec parfois, dans l’un d’eux, un carré bleu. « C’est la terre que je vois au fond de tes yeux, me disait-elle. Une belle planète bleue pleine de soleil... »
J’avais cinq ans et je resplendissais comme un joyau.
Comme j’étais la plus belle pièce de leur collection, ils se battirent devant la justice du palais, comme deux cons égoïstes, pour savoir qui aurait le privilège de m’aimer.
La cour était en guerre.
Aucun d’eux ne gagna la bataille, ils n’eurent d’autre choix que de me couper en deux.
Et vlan ! Ils coupèrent ma chambre en deux, mes poupées et Monsieur l’Ourson en deux, et mon petit cœur en deux aussi. Chacun s’empara d’une moitié de moi. Le week-end chez papa, la semaine chez maman. J’étais la princesse à deux têtes. Et je devins hideuse dans mon cœur.
Fais la petite valise, transporte les jouets. Dis au revoir à papa, donne un gros bisou, à la semaine prochaine. Retourne chez maman, défais la valise. Repars, reviens, embrasse, dis au revoir, serre bien fort. Ne pleure pas surtout, Morgane, papa est là, personne ne t’abandonne. Ne pleure pas mon bébé, maman revient dimanche soir. Au revoir papa. Au revoir maman. Au revoir...
Je grandis en courant. Je courais pour rattraper mes parents qui se séparaient, qui s’éloignaient toujours de plus en plus, me laissant au milieu, seule. Je courais de l’un à l’autre, à bout de souffle, ou plutôt je rebondissais comme une balle de tennis qu’on venait de frapper...
Je vieillis avec le sentiment qu’on ne pouvait m’aimer que quelques jours à la fois. J’étais un jeu, une sorte de divertissement pour adultes défraîchis recherchant un souffle de jeunesse. On m’empruntait pour quelques heures, on m’embrassait, me dorlotait, me faisait des guili-guili stupides. Et lorsqu’on était las de jouer avec moi, exténué par tant de folies, on me retournait, argent remis...
Commenter  J’apprécie          00
J’étais une enfant solitaire qui aimait lire, écrire et regarder les nuages. J’errais dans les bibliothèques, et lorsque je trouvais un bouquin qui m’intéressait, j’allais me promener dans les sous-bois où les branches mortes craquaient sous mes pas. Je m’asseyais contre un arbre, sous un rayon de soleil, pour dévorer mon nouveau trésor.
J’entrais dans les livres. Je vivais au rythme des mots qui résonnaient dans ma petite tête de rêveuse. Mes illusions devenaient réalité. Ma réalité n’était plus qu’une illusion.
Lire était pour moi une porte de sortie. Une porte d’entrée vers d’autres mondes, plus beaux que celui-ci. Des mondes où la magie pouvait faire pousser des forêts entières dans des déserts arides. Des royaumes fabuleux peuplés de créatures majestueuses, d’animaux ailés et de fées qui valsaient au son de harpes d’or.
Des mondes sans haine ni douleur.
Où j’y étais réellement Morgane la magicienne.
Et j’écrivais. J’écrivais toutes les pensées qui traversaient mon esprit. J’écrivais à en perdre le souffle, à en perdre la tête. J’avais le pouvoir des mots. Je pouvais créer des rêves. J’avais la clé qui permettait d’ouvrir les portes des autres mondes. De tous les mondes fantastiques dont tant de gens ignoraient l’existence.
Des mondes sans haine ni douleur.
Commenter  J’apprécie          00
Lorsque j’atteignis l’âge de quinze ans, ce fut le « grand échange ». Ma mère, qui en avait par-dessus la tête de s’occuper d’une môme lunatique comme moi, voulait vivre sa vie. Elle avait terminé sa maîtrise et rêvait de voyager. Ce n’était pas sa faute si elle avait mal lu le mode d’emploi de son diaphragme...
Mon père, lui, n’était pas très futé et avait abandonné ses études depuis longtemps. Il travaillait dans une manufacture, un autre esclave de la société s’apitoyant sur sa pauvre vie de minable.
Et il en avait assez de payer une pension : le fameux chèque qui, comme il s’en plaignait toujours, était beaucoup trop élevé. Alors, cette idée d’aller habiter chez mon père satisfaisait les deux parties.
Mais qui c’était ce mec avec qui j’allais vivre, ce type que je n’avais vu que quelques heures chaque week-end ? Est-ce qu’il savait quelle drôle d’enfant j’étais devenue ? Est-ce qu’il savait que j’écrivais dans la nuit noire à la lueur d’une chandelle et que je disparaissais parfois les soirs d’orages ? Il était mieux de commencer tout de suite à lire l’encyclopédie de la psychologie enfantine parce que ce n’était pas moi qui allais lui dicter le mode d’emploi !
Cet échange de bons procédés (le « bon procédé » étant ma petite personne) se fit sans même qu’on me demande mon avis. On me déracinait, on coupait mes racines, on me transplantait. Ils me traitaient encore comme un objet ; ces deux cons, ils n’avaient rien compris aux enfants. Elle n’avait plus le temps de s’occuper de moi, et lui, il était bien content de cesser les paiements.
Alors, on signa encore de foutus papiers et on se relança la môme. Mais mon père n’avait pas les bras assez longs pour m’attraper, et je tombai sur la tête…

« Morgane tombe sous la garde légale de son père », avait déclaré un monsieur le juge sans avoir vraiment réfléchi à ses paroles. Tomber sous la garde de mon père allait vraiment changer ma manière de vivre.
Tomber... sous la garde...
Tomber... garde...
Garde-à-vous, soldat ! Je garde l’œil ouvert ! Garde-toi de chialer ! Regarde-moi, petite conne ! Garde ta grande gueule fermée ! Et garde-toi d’en parler à ta poufiasse de mère !
Tomber... je tombai de haut.
Je tombai sous mon père, sous sa garde.
Je tombai sous le poids de ses menaces, sous la menace de ses grosses mains.
Il ne le savait pas, ce sale con, qu’on n’avait plus le droit de frapper les enfants et qu’on devait plutôt essayer de faire pousser des fleurs dans leur subconscient pour qu’ils puissent s’épanouir et vieillir sans trop de séquelles.
Il était beaucoup trop nul pour savoir cela, l’ivrogne : le manuel du bon père monoparental, il ne l’avait pas lu !
Il se rendit vite compte que je coûtais plus cher que ce qu’il donnait à ma mère en guise de pension. Au fond de son cœur, il m’aimait bien, mais j’étais un lourd boulet à sa cheville.
Moi, je compris qu’un papa divorcé, c’était toujours plus gentil le week-end. J’eus donc la lumineuse idée de ne pas rentrer trop souvent à la maison en semaine.
Je brisai mes chaînes...

Pourquoi la porte verrouillée d’un refuge et une enfant qui pleure accroupie dans la nuit ? Pourquoi l’asphalte des trottoirs est-il si froid, et les gens si méchants ? Pourquoi ne pas retourner tout simplement à la maison ?
Parce que c’était mieux ici…
J’étais seule, petite idiote perdue au coin d’une rue sombre, bouche bée devant un panneau d’arrêt. Je ne comprenais pas que je devais repartir, que cette interruption n’était que temporaire. Et je ne m’expliquais pas qu’on me laisse là toute seule, sans personne pour me protéger contre la méchanceté du monde.
Et Dieu sait que le monde est méchant quand on a quinze ans…
Commenter  J’apprécie          00




    Acheter ce livre sur
    Fnac
    Amazon
    Decitre
    Cultura
    Rakuten


    Lecteurs (2) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Les Amants de la Littérature

    Grâce à Shakespeare, ils sont certainement les plus célèbres, les plus appréciés et les plus ancrés dans les mémoires depuis des siècles...

    Hercule Poirot & Miss Marple
    Pyrame & Thisbé
    Roméo & Juliette
    Sherlock Holmes & John Watson

    10 questions
    5267 lecteurs ont répondu
    Thèmes : amants , amour , littératureCréer un quiz sur ce livre

    {* *}