Récit lu dans le cadre de mon défi personnel 2024, item : Lire "un livre qui se passe dans la région où je suis née". Etant née en région parisienne (Val-de-Marne), ce livre de Marc Lavoine (qui était dans ma PAL puisque je suis toujours intéressée par les récits de vie) et dont l'action se déroule principalement en Essonne à Wissous, était donc pertinent.
Pertinent, non pas parce que je suis fan du chanteur/acteur (loin de là), mais bien parce qu'il évoquait quelque chose de l'intime de soi qui entrait en résonance avec mon propre vécu : M. Lavoine est né en 1962 (moi, en 1960), une période particulière (globalement les 30 glorieuses, mais surtout les années 70-80), un contexte banlieusard, un environnement politique et syndical qui m'est familier, des comportements familiaux dysfonctionnels, l'omniprésence de l'alcool, de la cigarette et du sexe, et un ressenti d'enfant et d'adolescent questionnant et douloureux.
Pertinent car dans l'évocation de son histoire personnelle (et celles plurielles des différents membres de sa famille), M. Lavoine témoigne d'une sensibilité hors normes pour un homme. Une sensibilité qu'il n'a pas peur ni honte de dévoiler, alors même qu'il est une célébrité et que cela pourrait être préjudiciable à son image. C'est tout à son honneur. Et cela m'a touchée car cela démontre qu'il ne renie en rien ses origines et ses proches, tout imparfaits qu'ils furent. Je ne sais pas s'il a écrit ce livre tout seul ou s'il s'est fait aider d'une "plume", mais peu importe, les faits évoqués, les mots et le vocabulaire choisis (y compris vulgaire et ordurier), les contextes politico-économico-sociaux sonnent vrais... puisque moi aussi j'ai pu expérimenter certains des aspects évoqués dans ma propre vie.
A travers l'évocation de la figure paternelle : Lucien Lavoine (1934-2006), employé aux PTT, militant cégétiste, athée et communiste, c'est tout un monde qui nous est dévoilé : celui de l'engagement politique et syndical, avec ses bons et mauvais côtés.
Ses bons : le fait de donner sa vie à une cause, à un idéal, pour faire avancer le bien commun et ainsi lui donner un sens ; le sentiment d'être un acteur dans la marche du monde ; la solidarité entre les militants ; l'accès à une culture de classe et, avec elle, la capacité à avoir un regard critique sur son pays et sur le monde ; l'accès à la cuture tout court avec le fait de côtoyer des intellectuels, des poètes, des chanteurs hors normes et d'apprécier leurs oeuvres.
Ses mauvais : bien souvent, un fonctionnement égoïste qui laisse peu de place à la famille ; les tentations auxquelles on cède plus que facilement (il faut bien maintenir son statut de beau gosse et sa réputation de tombeur de ces dames) ; par voie de conséquence, l'omniprésence d'une double vie (il faut bien honorer ses multiples maîtresses) ; les dérives qui deviennent très vite des addictions (alcool, cigarettes, sexe) ; un désintérêt évident pour la routine quotidienne et les contraintes familiales, ce qui, fait supporter toute la charge mentale au conjoint délaissé (bien souvent, la femme).
Dans ces deux cents et quelques pages, M. Lavoine évoque, par petites touches successives et avec une gouaille des plus réalistes, ce qu'a été la vie pour le moins dissolue de son paternel et, par là même quelle a été sa vie, à lui, à son frère et à sa mère. Une vie plus fade, parfois triste (on ressent souvent le manque), mais néanmoins heureuse. Car, malgré tout, la vie d'alors était certes modeste mais heureuse : un petit pavillon de banlieue calme, les quelques week-ends ou vacances en famille, les soirées entre potes ; les premiers émois amoureux ; les premières bécanes et voitures ; la présence des grands-parents et autres membres de la famille...
Au-delà de l'aspect familial et personnel, il dresse le tableau d'une époque qu'il est important de connaître pour bien mesurer (et apprécier) tout le chemin parcouru depuis celle-ci : la guerre d'Algérie et ses souvenirs douloureux, Mai 1968 : illusions et désillusions, la libération sexuelle et ses dérives, la condition de la femme qui certes travaille mais reste soumise, la politique avec le programme commun et ses trahisons, l'engagement militant des communistes avec l'Humanité Dimanche et ses Fêtes de l'Huma, l'accès à la consommation de masse, etc.
Un premier livre que l'auteur a sans doute écrit pour laisser une trace à ses descendants (il a eu quatre enfants) de ce qui a constitué ses origines sociales et familiales... Ne dit-on pas que pour savoir où aller, il faut savoir d'où l'on vient ? Et le parcours de M. Lavoine est remarquable au regard de ce passé qui l'a sans doute déstabilisé, mais néanmoins construit. Mais au-delà, j'ai ressenti ce livre comme un énorme témoignage d'amour en direction de ce père qu'il a mal connu, qui l'a mal aimé et auquel il a eu bien du mal à s'identifier. Sans doute faut-il voir dans l'écriture de ce "récit-roman" un acte cathartique comme pour mieux se libérer de ses fantômes, pardonner et aller de l'avant.
Pour ma part, je me suis retrouvée dans cette évocation, même si tout ne m'est pas proche. Pour avoir côtoyé un certain nombre de militants (j'ai travaillé six ans dans une mairie communiste), je confirme avoir côtoyé bon nombre de "Lulu" qui donnaient beaucoup mais qui, aussi, brûlaient la chandelle par les deux bouts, sans vraiment tenir compte des à-côtés de leurs vies (à savoir, leur famille). J'ai donc été touchée, émue. J'ai souri souvent à l'évocation de tels ou tels faits, j'ai particulièrement aimé le style d'écriture et le registre de langue employé. Pour un court temps, j'ai revécu mon enfance et mon adolescence banlieusarde et je crois, qu'à présent, je ne regarderai ni n'entendrai plus Marc Lavoine de la même façon, tant je me sens des affinités avec lui.
A noter : il est précisé en première page de ce livre écrit en 2015 : "
L'homme qui ment ou le roman d'un enjoliveur". "Récit basé sur une histoire fausse". Une affirmation qui tend à faire croire que ce qui est écrit ici est inventé. Or, pour l'avoir entendu à plusieurs reprises, de vive voix, de la part de M. Lavoine depuis la parution du livre, il semble bien qu'il s'agisse d'un récit autobiographique. Pourquoi donc cette précision ? Peur initiale d'assumer cette histoire-là ? Je n'ai pas trouvé d'explication à cela. Oui, alors, cela signifie que son histoire a été encore pire que ce qui est écrit ici et que M. Lavoine l'a "enjolivée" pour faire de son père son héros ?