— Vous non plus, vous n'aimez pas les hommes. Et vous ne pouvez pas savoir : rien que penser à eux m'épuise. Vous dites qu'ils sont trop animaux. Mais ce n'est pas vrai, mère ! L'animal qui était en eux s'est perverti, humilié ; il est devenu servile, domestique, comme un chien. Je ne connais pas un homme qui ait la fierté d'un animal. À croire qu'ils ont cessé de penser. C'est ce qui arrive quand la dernière petite parcelle d'animalité sauvage meurt en eux.
— Mais nous avons un esprit…
— Nous n'avons plus d'esprit une fois que nous sommes apprivoisés, mère. Les hommes sont tous des femmes et ne font que tricoter des mots.
— Je ne peux pas être d'accord, vous le savez très bien, Louise.
— Oui, bien sûr, vous aimez les hommes intelligents. Mais le plus souvent, les hommes intelligents sont des animaux si déplaisants ! Chez des hommes comme Rico, l'animal s'est abîmé, dénaturé. Et chez ces jeunes gens élégants que vous aimiez tant pendant la guerre, il n'y a plus rien de l'animal sauvage. Ce sont tous des chiens dressés, même lorsqu'ils ont du courage et de la classe. Des chiens dressés par des maîtres humains. Il n'y a plus aucun mystère en eux.
En définitive, tout n'était que mensonge et apparence. Il gardait tout en lui, délibérément. C'était une contenance qu'il se donnait. Elle avait lu des ouvrages de psychologues qui disaient que tout n'était que faux-semblant, même le meilleur des êtres. Et désormais elle savait que tous ceux qui se donnent une contenance ne font que cacher leurs failles. Quelque chose leur manque, et ils en sont réduits à dissimuler.
La plupart des esclaves ne seront jamais affranchis, quelle que soit la liberté qu'on leur octroie. Comme les animaux domestiques, ils ont plus peur de la liberté que de leur maître. Qu'un maître généreux les affranchisse, ils ramperont aussitôt vers un maître cruel, qui n'hésitera pas à les maltraiter. Car pour eux les coups et la servilité sont autrement faciles à supporter que la dure responsabilité solitaire de la vraie liberté.
L'humanité est un cheval, monté par un étranger, le cavalier du Mal, au visage lisse. Le Mal en personne, au visage lisse et à la beauté trompeuse, conduisant l'humanité, par-delà le serpent mort, jusqu'à l'erreur finale.
Quand je regarde les hommes avec ce troisième œil, comme vous dites… je crois que je vois… surtout… des espèces de pantins.
Je crois que l'on finit par tellement se lasser de ces hommes d'esprit, comme vous les appelez. Il y en a tant, des hommes, avec cette sorte d'intelligence. Et il y en a qui ne sont pas très intelligents, mais gentils ; et d'autres qui sont stupides. Il me semble qu'il y a autre chose que l'esprit et l'intelligence, ou que la gentillesse et le raffinement. Peut-être est-ce l'animal.
Quant au cheval, allait-il continuer à porter l’homme dans sa marche vers sa putréfaction ?
Avec sagesse, l’homme s’était mis à inventer des engins, automobiles ou locomotives. Pour l’homme, le cheval était dépassé.
Mais hélas, pour le cheval, l’homme était encore plus dépassé…
Les hommes, ignobles, ne valant pas plus que les animaux qu’ils ont asservis, avaient fait naître l’affliction dans l’esprit de leurs créatures.