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Critique de motspourmots


"Aimer est un sentiment profondément égoïste, car ce n'est que lorsqu'on se retrouve dans l'autre, en terrain connu, en osmose avec nos valeurs, que l'on peut aimer et cela nécessite une forte dose d'intégrité, même avec ses enfants. C'est pourquoi j'ai toujours privilégié l'amour "propre", vierge de tout lien de sang, celui qui impose le recul nécessaire à l'objectivité, à l'appréciation des autres seulement pour ce qu'ils font de ceux qu'ils sont".

Sujet casse-gueule, m'avait dit l'auteure avec appréhension avant de m'envoyer son dernier roman. Ça tombe bien, moi, les sujets courageux, j'aime ça. Et quand ça touche à la maternité, sujet féminin par excellence mais sujet souvent contraint par une certaine norme sociale, ça m'interpelle. La norme. Les codes. Les schémas que l'on se doit de répéter sous peine d'être montré du doigt, voilà qui me hérisse le poil. Alors, ce roman qui avance sans fard, ose poser au grand jour des questions "honteuses" ou "scandaleuses" selon les jugements, ce roman m'apparait comme salutaire, jouissif et Ô combien utile.

D'abord parce qu'il envoie bouler la langue de bois, le consensus selon lequel la maternité serait la plus belle chose au monde, épanouissante, indispensable à la réalisation d'une femme. Ensuite parce que jamais il ne remet en question l'amour qu'une mère porte à ses enfants. Il s'agit plus de statut, de parcours personnel, de sensation contrainte, et surtout d'ambiguïté. Car, non, la maternité ne coule pas de source, contrairement aux images d'Epinal. Oui, une femme peut souffrir d'être engluée dans un rôle de mère qu'elle n'a pas réellement choisi, dans lequel elle s'est engagée en se laissant simplement glisser sur une pente tracée par d'autres.

C'est la situation dans laquelle se trouve Giulia, qui n'attend qu'une chose : que ses trois grands enfants quittent le nid afin qu'elle puisse enfin se réapproprier sa vie. Elle les a élevés quasiment seule, a mené en parallèle une belle carrière universitaire. Professeur d'italien, la langue de sa mère, Laura, qui n'a pourtant que très peu vécu avec elle. Envolée un beau jour en confiant la petite Giulia aux bons soins de François, son père. Laura avait une passion pour Curzio Malaparte ; Giulia prépare un livre sur lui et s'apprête à séjourner dans la fameuse Villa Malaparte sur l'île de Capri. Au moment de son départ, elle est en froid avec ses deux fils dont les choix la heurtent et la renvoient aux questions sur l'éducation qu'elle s'est attachée à leur donner, sur son "investissement" en quelque sorte. Cette vie qu'elle leur a dédié, ce temps qu'elle aurait peut-être pu consacrer à autre chose...

"Il n'existe pas qu'une façon d'envisager sa maternité, il y en a des milliers. On y apporte son enfance, ce sac à dos bien lourd parfois, on y ajoute ses espoirs et ses projets avant d'être confrontée à ce qui est".

D'une île à l'autre. de Capri à Belle-Ile où vit François, l'ancrage familial. D'un anticonformisme à l'autre. Malaparte, écrivain et reporter controversé, complexe, multiple mais qui a imposé son parcours, suivi son instinct. Laura qui a choisi la liberté, une autre forme de liberté, loin des contraintes du lien maternel. le cheminement de Giulia passe par ces deux bans de terre cernés par la mer, avec cette sensation d'être coupé du monde. Elle n'a pas choisi la fuite, mais l'attente. Ou plutôt les attentes.

Si ce roman est une réussite, c'est parce qu'il saisit parfaitement la complexité de sa thématique, rejetant toute affirmation péremptoire ou opinion prémâchée. Avec la question de la maternité se pose celle de la famille, de ce qui la constitue, ce qu'on en attend, ce que l'on doit aux membres qui la composent. Nul doute que ce livre fera écho aux parcours et aux doutes de nombreuses femmes, quel que soit leur âge et leur situation. Il donne aussi une furieuse envie d'aller explorer l'oeuvre de Malaparte (personnage croisé récemment dans Eugenia de Lionel Duroy) et bien sûr de filer à Capri.

La force du propos ne serait rien sans l'efficacité du style, à la fois sobre, imagé et précis, acéré quand il le faut, et soudain plus rond, plus souple, un temps alangui pour mieux repartir à l'assaut.

Casse-gueule ? Peut-être, mais avec beaucoup de classe.

"Pour moi, juger c'est nier l'intime, c'est oublier l'intention, qu'elle soit poétique ou cruelle, c'est refuser le paradoxe humain, les glissements et les dérapages qui forcent l'équilibre, c'est effacer les courbes, les esquisses de liens ténus entre fantasmes et réalités".
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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