La chanson parlait de sable, d’eau, de soleil, d’une histoire d’amour de princesse, et la voilà qui partait avec l’inconnu sur la plage, au coucher du soleil, main dans la main, les pieds dans le sable blanc. Elle monta le volume de la musique et sentit des frissons parcourir son dos. Elle imaginait qu’il s’arrêtait pour l’enlacer et l’embrasser longuement, caressant doucement ses cheveux et sa nuque. Qu’il lui disait combien il l’aimait et qu’il n’aimerait jamais qu’elle. Qu’ils s’allongeaient là, à même le sable, les jambes emmêlées, la tête enivrée par la chaleur de l’été. Elle rêva qu’il glissait ses mains sous sa chemise en lin blanc, la faisant frissonner comme jamais. Puis qu’il…
« Ne sois pas trop sage ». C’est vrai qu’elle l’était particulièrement. Pas un faux pas, pas un écart, pas de folie, elle était très raisonnable. Pourquoi ne l’aurait-elle pas été d’ailleurs ? A vrai dire, elle n’avait pas tellement eu le choix, le rouleau compresseur du quotidien s’étant chargé de lui interdire quelque folie que ce soit. Elle s’était mariée très tôt, avait eu ses enfants à vingt ans, et n’avait pas fait grand-chose d’autre que travailler et s’occuper de sa famille. Parfois elle se disait qu’elle n’avait peut-être pas suffisamment profité de sa jeunesse. Elle n’avait connu que Marc et n’avait véritablement aimé que lui. Marc… Un peu plus de vingt ans après leur rencontre, la vie était simple avec lui. Ils se connaissaient par cœur et ils s’entendaient bien. Elle aurait été bien incapable d’affirmer qu’elle l’aimait encore. Elle ressentait énormément d’affection pour lui, une belle complicité, peut-être même une certaine dépendance. Mais amoureuse, certainement plus.
Tous ces ragots qui allaient bon train comme dans tous les petits villages. C’était loin maintenant, très loin même. Mais les étiquettes collent à la peau dans ces petits patelins. En vérité elle n’en savait pas grand-chose. Elle avait entendu des rumeurs, des bribes d’histoires. Elle s’en fichait un peu d’ailleurs, car elle considérait que tout cela ne la regardait pas et qu’il s’agissait d’histoires de vieilles commères. Et puis le malheur des autres ne l’avait jamais rendu plus heureuse.
Quarante ans… Elle avait dit la vérité à Julien. Elle considérait cet âge comme une étape. Comme un symbole. Le moment où l’on passe dans l’autre moitié de sa vie. Avant quarante ans, on grandit encore. On progresse dans sa vie professionnelle, on apprend, on construit. Après quarante ans, on va vers la vieillesse. On est candidat à des maladies qui ne concernent pas les jeunes. On a plus de mal à trouver du travail. Les rides font leur apparition et le corps a plus de mal à résister à la pesanteur. On regarde avec nostalgie les poussettes pleines de nourrissons et on se demande ce qu’on va faire de ses dimanches parce que les enfants sont partis. Les cheveux ternissent. Les mains se tâchent discrètement. Le dos tire un peu plus. Si on y réfléchit un peu, ce n’est pas très réjouissant. En tous cas, c’était le point de vue d’Alba qui s’était mise à faire le tour de tout ce qui allait partir de travers avec l’arrivée de la quarantaine.
Elle était à fond pour l’écologie et travaillait d’arrache-pied pour faire valoir les nouvelles technologies de l’architecture en termes de construction durable. Bref, elle avait du talent, elle avait des idées, et elle était convaincue qu’elle allait y arriver. Certains la disaient ambitieuse, mais Alba connaissait bien sa fille et elle savait que tous ces projets étaient avant tout la traduction de convictions qu’Emma avait eu la maturité de réussir à transformer en réalisations concrètes. Elle était fière de sa fille.