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Critique de HordeDuContrevent


« Tu reconnaîtras la jeune fille digne d'être épousée à ce qu'elle ne t'inspirera que des pensées chastes »…Proverbe Léonard.

Quand Anatole le Braz, le spécialiste de la culture bretonne, de ses contes et de ses légendes, nous concocte un drame solidement ancré dans son territoire, cela donne un thriller breton stupéfiant, une histoire de passion qui se lit d'une traite en dégustant un kouign-amann accompagnée d'une bolée de cidre ! Et sec le cidre, à l'image de la morale de ce conte maritime…

Oui, un pur ravissement ce livre d'Anatole le Braz dont j'avais lu et beaucoup aimé, l'an dernier, le beau et mystérieux « le sang de la sirène ». Là encore l'intrigue ainsi que la plume merveilleuse de l'auteur breton entraine le lecteur et le pousse irrémédiablement à poursuivre sa lecture pour connaitre le dénouement de ce drame, drame qui nait, croit et culmine subtilement, en pleine côtes bretonnes, dans un cadre mythique. Frissons et dépaysement garantis !

Le 1er mai 1876, en plein raz de Sein, dans la dangereuse mer d'Iroise, le feu de Gorlébella, plus souvent appelé le phare de la Vieille, est resté allumé toute la journée pour mystérieusement s'éteindre la nuit suivante. Une équipe vient voir ce qui se passe. Elle trouve une liasse de vieux papiers sur le banc de quart, dans la chambre de la lanterne.
Le chef gardien Goulven Dénès, avant de disparaître, a pris soin d'y consigner tout le détail des événements, confessant son drame et s'adressant par moment directement à son supérieur. Et des cadavres se trouvent certainement dans une des pièces du phare dans laquelle personne n'a pu encore pénétrer mais l'odeur nauséabonde ne laisse pas place au doute quant à ce qu'il y a à l'intérieur. Il faudra sans doute en briser la porte à coups de hache....
Où est Goulven Dénès ? Qui est enfermé dans cette salle fermée à clef ? Que s'est-il passé ? Les hommes se mettent à lire et vont alors découvrir « le drame peut-être le plus atroce dont les tragiques annales du Raz aient conservé le souvenir ».

Goulven est donc gardien de phare en cette fin du XIXème siècle. Originaire du Léon (nord Finistère) il est marié à une jeune fille de Tréguier (vers Saint Brieuc) prénommée Adèle. Un Léonard marié à une Trégorroise, sans doute cela ne vous choque pas, voire ne vous évoque rien mais il s'agit d'un mariage qui étonne, dès le départ soumis à un destin délicat, car ces deux races de bretons (si, si) sont tellement différents, presque antagonistes. Si les Léonards sont connus pour leur caractère besogneux, austère et très pieux, les Trégorrois sont réputés pour leur joie, leur insouciance et leur imagination. Les superstitions funèbres aux premiers, les légendes fabuleuses aux seconds. Et ce mariage, la mère de Goulven en avait prédit le pire…Mais le jeune homme est fou amoureux, mu par une passion dévorante pour cette belle Adèle qui semble l'ensorceler, cette belle femme aux yeux de nuances changeants, aux joues roses qu'encadre une mer de cheveux sombres d'un noir bleuâtre…Mais il faut toujours se méfier du vieux sang barbare des Léonard !

Véritable invitation à la découverte de la vie des gardiens de phare, nous découvrons avec ce livre la vie dans cette cage à hauteur de mouettes, les vues majestueuses, la simplicité et la solitude de cette vie routinière marquée par le travail de maintien en état du phare, de son feu surtout, de menues réparations et de compte rendu journaliers. Une équipe de trois gardiens assurent à tour de rôle le bon fonctionnement du phare, chaque gardien restant quinze jours en duo, enfermé, avant de pouvoir rejoindre la caserne. La vie à la pointe du Raz est particulièrement rude et les iliens, et surtout les iliennes, ces gens du Cap rustres et sauvages, voient d'un mauvais oeil ce jeune couple et cette femme plus raffinée qu'eux, qui se promène, qui brode, et, horreur, qui perd son temps à lire. Isolée, Adèle tombe dans une sombre nostalgie et pense à son Trégor natal.

« A ce moment, un de ces oiseaux de mer qu'on appelle des fous nous frôla presque de ses ailes, décrivit au-dessus de nos têtes deux ou trois cercles, puis plongea, comme une flèche, dans l'obscurité béante. Et j'eus le pressentiment très net que ce pays farouche, voué jadis à d'horribles holocaustes, nous serait fatal ».

Un poste vacant au phare et c'est un autre trégorrois, une connaissance à Adèle, qui vient s'installer dans le coin, dans la même caserne que le couple. Ce nouvel arrivant fascine et plait énormément à Goulven mais aussi aux iliens. Et Adèle semble retrouver des couleurs et son enthousiasme habituel avec l'arrivée de cet homme du même village qu'elle. Si Goulven le taciturne, quasi misanthrope, se surprend à apprécier la présence de cet homme avec lequel il devient ami, Hervé va pourtant peu à peu faire bousculer Goulven dans la folie, surtout lorsqu'il comprendra qu'il est le dindon de la farce des deux Trégorrois.
Goulven va alors préparer méthodiquement sa vengeance, tragédie fascinante renforcée par le paysage austère et semi-désertique du Raz de Sein qui semble répondre à l'état d'esprit du pauvre homme en perdition.

« C'était l'heure trouble d'entre jour et nuit. La nouvelle fenêtre ou – comme nous l'avions baptisée dans notre argot de mer – le hublot, ne versait qu'un reste de lumière lasse, et cette demi-obscurité, où planait un funèbre silence, drapait les formes rigides des objets comme d'un suaire couleur de cendre. Enfin, pour que rien ne manquât, il y avait le plafond de pierre, à cintre surbaissé, blanchi à la chaux – une véritable voûte de sépulcre, où ne faisaient plus défaut que les cadavres. Un frisson me parcourut, un de ces frissons involontaires qui font dire aux Léonards, toujours hantés par la préoccupation de l'Ankou :
- C'est le vent de sa faux qui passe ! »

Mais quelle écriture sublime, un tantinet gothique, sertie de descriptions magnifiques, mâtinée de touches fantastiques troublantes (la couleur verte quasi phosphorescente semble constamment prédire le mal à venir depuis le vieux sou vert-de-gris porte bonheur de Goulven qui, après avoir roulé sous le lit, lui d'un éclat étrange jusqu'au phare dont la couleur verte illumine les éléments et les gens d'une sombre aura…l'oeil vert du diable…) me faisant penser par moment aux livres fantastiques d'un Edgar Allan Poe. Quel régal de lecture ! J'étais dans ce phare, je voyais l'horizon à 360 degrés et ressentais ce mélange de liberté et d'oppression, de grandeur et d'enfermement…Il faut dire que l'auteur, non content de raconter poétiquement sa région, a le don de développer une fine analyse des caractères de ses personnages et de maîtriser avec brio le suspense qui monte crescendo.

« L'air était tiède comme en juin. Une lumière généreuse avivait d'une splendeur presque estivale les lointains élargis. La courbe des eaux, à l'horizon, avait des teintes d'un bleu intense que rehaussait un mince linéament d'or. Autour du phare, les courants semblaient se jouer avec abandon, déroulant les mille reflets de leurs soies et de leurs satins, telles que des écharpes de fées, tissées de toutes les irisations de l'arc-en-ciel. Il n'était pas jusqu'à l'île de Sein, dans l'ouest, dont la longue échine plate et triste ne se fût comme soulevée sur la mer, pour saluer la résurrection du soleil ; ce n'était plus la terre-épave, à demi sombrée ; on eût dit que les façades blanches de ses maisons se déployaient, prêtes à prendre le vent, ainsi que des voiles. Quant au continent, il nous faisait l'effet de s'avancer vers Gorlébella comme la proue éclatante d'un navire surnaturel ».


Un récit d'ambiance qui mérite d'être lu davantage tant il me semble constituer un chef d'oeuvre de la littérature dite « régionale ». Il parait qu'un téléfilm a adapté cette histoire, moi je me fais mon cinéma, c'est un film sur grand écran que j'imagine bien, j'ai même des idées d'acteurs et d'actrices…Oui, cela pourrait être grandiose, comme l'est ce livre…

« Lorsqu'on la contemple en toute sécurité de la chambre d'un phare ou de la maisonnette blanche d'un sémaphore, comme cela, oui, je comprends la mer. Autrement, non ! Paradis des hommes, mais enfer des femmes !.... »



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