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Critique de HordeDuContrevent


« Infinies sont les arguties des mages »…

Ursula le Guin est une magicienne…elle a l'art de provoquer un véritable enchantement se basant sur une subtile compréhension des forces occultes à l'oeuvre dans toute rencontre entre un récit et son public. Sa plume est bâton de sorcier, ses mots sortilèges, son récit élixir de jeunesse, son message incantation apaisante…

Se basant sur la magie, plus précisément sur la sorcellerie, le tome 1 des contes de Terremer est envoutant et passionnant, étonnamment épique mais en même temps très doux et attachant. Un roman de fantasy publié en 1968 qui saupoudre avec grâce des étoiles dans les yeux, de celles que nous avions enfant, et offre avec générosité cette volupté rare, celle de nous maintenir pelotonnés des heures durant, à ne pouvoir lâcher le livre tant on s'y sent bien. Je comprends totalement le succès rencontré par cette série et même à mon âge Ursula le Guin a réussi à me redonner, le temps de cette lecture, un peu de mon âme d'enfant et d'adolescente. Je crois que je peux affirmer désormais que j'aime la Fantasy. Ce dont je n'étais pas certaine auparavant ayant eu quelques rencontres difficiles, n'arrivant pas à me projeter totalement dans le monde imaginaire proposé, parfois violent, souvent guerrier. Ici le récit est doux, féminin si j'ose dire, il n'y a pas de grandiloquence, d'armes, de combats telluriques, juste une quête métaphysique et philosophique afin que la lumière réapparaisse dans les ténèbres. Je ressens aujourd'hui combien un tel monde offre évasion, rêves, déconnexion, et connaissance de soi.

Oui, la connaissance de soi imprègne ce récit : comment affronter et accepter, du moins savoir contrôler, son ombre maléfique, celle qui fait partie de tout un chacun, pour devenir un être complet ?

Nous suivons Ged, un jeune garçon turbulent et impétueux qui s'avère avoir de véritables dons. Des dons de magicien. Il sauve notamment son village de l'attaque d'ennemis sanguinaires grâce à un enchantement de brumes et de brouillards. Il est ainsi envoyé auprès d'Ogion, le sorcier mage de ce territoire de Gont, pour lui enseigner les rudiments de la magie. S'avérant être doué et avide de connaissances, il est ensuite envoyé sur l'île de Roke, dans une institution réputée, école de sorciers en quelque sorte, pour parfaire son éducation et devenir Mage. Là il apprend les arts magiques et les différentes techniques de sorts. Cependant, Ged est trop impatient, trop jaloux et trop orgueilleux, et une rivalité avec un camarade le pousse à montrer ce dont il est capable alors qu'il ne maitrise pas encore tout à fait son don n'étant qu'un apprenti. Sa vantardise va invoquer accidentellement un esprit maléfique qui n'aura alors de cesse de le poursuivre. Il doit fuir et apprendre à maîtriser ses pouvoirs pour vaincre l'esprit maléfique et se libérer de sa malédiction. Ged, pétri de remords, expie pour son péché d'orgueil, et comprendra que la fuite ne fait qu'amplifier son malheur. Il lui faut plutôt affronter cette force, devenir le chasseur et non le gibier. Il sera aidé dans cette quête de son ami Vesce.

« Il suivait à présent cette peur comme le chasseur suit les larges empreintes griffues de l'ours qui, à tout instant, peut surgir d'un fourré et se ruer sur lui ».


Cette quête au sein des différentes îles de l'Archipel voit défiler des paysages d'une beauté renversante où la magie est connue de tous et semble naturelle. Chaque hameau a son sorcier comme s'il s'agissait d'un médecin. Mais au-delà de la guérison des maladies, seuls les mages peuvent changer le sens des vents, jeter des sorts bénéfiques aux bateaux de pêche pour leur éviter de sombrer, apporter la lumière au milieu des ténèbres, comprendre le langage des oiseaux. le mage est respecté dans tout l'archipel de Terremer.

J'ai retrouvé quelques ingrédients que j'avais tant aimés dans la Horde du Contrevent de Alain Damasio…Cette quête exténuante, appréhendée dans la Horde comme un contre, des vents fous contre lesquels lutter ou avec lesquels s'allier, des eaux tempétueuses, des déserts arides et désolés dans lesquels errer pour mieux méditer. Comme dans la Horde, Terremer c'est également un territoire, un Archipel avec Havnor en son coeur, Ea où sont nés les mythes, les terres étranges des Marches lointaines, la passe des Dragons où on trouve encore en effet ces créatures monstrueuses, les terres désolées et stériles d'Osskil, au nord la Terre de Hogen et ses bancs de glace…Ursula le Guin imagine un territoire, une géographie essentiellement aquatique parsemée d'îlots rocheux et de grandes îles escarpées sur lesquels quelques peuples des terres centrales méconnaissent la mer.

« de la mer s'élèvent des monstres et des tempêtes, mais pas de puissances maléfiques, car le mal naît de la terre ».

Si le vocabulaire de Damasio se veut inventif et créatif, celui d'Ursula le Guin est classique mais porté par une plume fluide, poétique et épique. Il n'y a aucune longueur, aucun temps mort, et pourtant l'action s'entremêle toujours à l'observation des beautés de la nature.

« Il garda le cap au sud-est, et le lointain rivage disparut alors que la nuit engloutissait la frange orientale du monde. le creux des vagues était plongé dans l'ombre, tandis que leurs crêtes brillaient encore du reflet rougeoyant de l'ouest ».

L'ombre maléfique est fascinante. Je la vois comme notre part la plus sombre, celle qui peut rejaillir en cas de haine, d'orgueil, celle qu'il nous faut accepter et apprendre à maîtriser. Pour cela une vie est nécessaire, et parfois même ne suffit pas, pour apprendre ce qu'elle est, comprendre son essence, ses racines, avant que cette ombre ne prenne notre apparence et devienne nous-même, nous engloutissant complètement.

Ursula le Guin, sous couvert d'un roman de fantasy dont elle maitrise les ressorts à la perfection, nous offre une belle leçon d'humanité où le retour aux sources est la clé de toute complétude.

« Un homme sait vers où il se dirige, mais il ne peut le savoir qu'à condition de se retourner, de revenir à son origine et de garder cette origine à l'intérieur de son être. S'il veut être autre chose qu'une brindille ballottée par les tourbillons du torrent, il doit être le torrent tout entier, de sa naissance jusqu'à l'endroit où il se jette dans la mer ».
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