Essaie de choisir avec soin, Arren, lorsqu'il faudra faire de grands choix. Quand j'étais jeune, j'ai eu à choisir entre être et agir. Et j'ai sauté sur la seconde solution comme une truite sur une mouche. Mais chacun de tes gestes, chacun de tes actes, te lie à lui et à ses conséquences, et te force à agir encore et toujours. Il est donc très rare de rencontrer un espace, un moment comme celui-ci, entre deux actions, où il soit possible de s'arrêter et de se contenter d'être, tout simplement. Ou de se demander qui on est, en fait.
Je crois qu'il nous faut non seulement trouver un lieu, mais également une personne. C'est le mal, le mal qui passe sur cette île, cette perte de l'art et de la fierté, ce manque de joie, ce gâchis. C'est l’œuvre d'une volonté maligne. Mais d'une volonté qui n'est même pas tournée vers cet endroit, qui ne remarque même pas Akaren ou Lorbanerie. La piste que nous suivons est jonchée de débris, comme si nous suivions une charrette détachée qui dévale le flanc d'une montagne, déclenchant une avalanche.
Tu vois, Arren, qu’un acte n’est pas comme le croient les jeunes gens, pareil à un caillou qu’on ramasse et qu’on jette, qui touche son but ou le rate, et rien de plus. Quand on ramasse ce caillou, la terre est plus légère, et la main qui le prend plus lourde. Quand on le lance, le parcours des étoiles en est affecté, et quand il frappe le but ou le manque, l’univers en est changé. De chacun de nos actes dépend l’équilibre du tout. Les vents et les mers ; les puissances de l’eau et de la terre, et de la lumière, tout ce qu’il font, et tout ce que font les bêtes et les végétaux, est bien fait, et justement fait. Tous agissent selon l’Equilibre. Depuis l’ouragan et le mugissement de la baleine géante jusqu’à la chute d’une feuille sèche et le vol du moustique, tous leurs actes sont fonction de l’équilibre du tout. Mais nous, dans la mesure où nous avons un pouvoir sur le monde et sur les autres, nous devons apprendre à faire ce que la feuille et la baleine et le vent font naturellement. Nous devons apprendre à conserver l’Equilibre.
"Je sais qu'il n'est qu'un seul pouvoir qui vaille qu'on le possède. Et c'est le le pouvoir non pas de prendre mais d'accepter. Non pas d'avoir, mais de donner.
Entre deux brins d'herbe, dans la clairière, une araignée avait filé une toile, cercle délicatement suspendu. Les fils d'argent accrochaient la lumière du soleil. Au centre, la fileuse attendait, tache noir-gris et guère plus grosse que la pupille d'un oeil.
- Elle aussi est une modeleuse, dit Ged
« - C’est ce que je voulais te dire. Renier le passé, c’est nier le futur. Un homme ne peut forger sa destinée ; il l’accepte, ou il la nie. Si les racines du sorbier sont peu profondes, il ne porte point de couronne. »
Les hommes sont des sauvages qui incendient une terre parce qu'ils sont en querelle avec d'autres hommes.
Ecoute-moi, Arren. Tu mourras. Tu ne vivras pas toujours; ni toi, ni personne, ni aucune chose. Rien n’est immortel. Mais il n’y a qu’à nous qu’il est donné de savoir que nous allons mourir. Et c’est un don précieux : c’est la chance d’être soi-même. Car nous ne possédons que ce que nous savons que nous devons perdre, ce que nous acceptons de perdre… Etre soi, c’est notre tourment, notre gloire et notre humanité. (Chapitre VIII, “Les Enfants de la Mer Ouverte”, p. 139).
- Pour voir la lumière d'une chandelle, il faut l'emporter dans un endroit obscur.
J'aime la vie, ne dois-je pas haïr la fin ? pourquoi ne devrais-je pas désirer l'immortalité?