La main verte
Ma bibliothèque
n’est pas rangée
[…]
un peu de neige
quand il en manque
devant mes yeux
et qui traverse
la longue nuit d’un roman russe
beaucoup de silence
quand il en faut
après tant de mots
gaspillés ici
et là
et que mes oreilles refusent
elles préfèrent
se tendre aux bruits des pas
de la mésange
au bord d’une flaque d’eau
quand elle éclaire un poème chinois
ou japonais
ou breton
égaré
mais pas perdu
sur les étagères de ma bibliothèque
mal rangée.
Mais qu'ai-je dit
en te disant je t'aime ?
J'ai dit je
j'ai dit tu
j'ai dit aime
Mais le chemin entre les deux
l'ai-je parcouru
avec toi ?
L'homme qui s'en va
par un poème
rejoindre celle qui l'attend
n'est-il pas
comme ce marin
qui
par l'infini de la mer
rejoint l'infini de ses mots
où a disparu son amour
Le pic épeiche
[...]
l'oiseau pique
et pêche
des vers dans l'herbe mouillée
son nom
lui va comme un gant
comme les noms que j'espère trouver
en marchant
au bord de mes poèmes.
Aussi secrets que les voyages
sont les poèmes
ils ne connaissent
comme les bouteilles à la mer
que le pont
le cœur d'où ils sont tombés.
nous avons regardé
à travers le vitrail
passer la mer et le ciel
sans quoi la mer serait sans lumière
la nuit en toi si noire d'être blanche
Ma bibliothèque
n'est pas rangée
par pays
par genres
par noms
prénoms
elle est rangée
par le hasard
de ma main
verte
parfois
qui trouve le bon livre
au bon moment
et la main qui m'ouvre le chemin
dans ce pays où je me perds
m'est plus proche
que celle qui menace
dans mon pays où l'on se perd
dès que de l'autre côté de la route
qui relie nos villages
nos quartiers
dans notre ville
de notre pays
ils font de l'inconnu
un étranger.
Ce sont les mains de ma mère
qui ont lavé
repassé
plié
hier
le mouchoir
que je déplie
aujourd'hui
avec mes mains.