Le conservateur

Etant moi-même bibliothécaire et ne vouant pas une admiration démesurée à Bertrand Barère (1755-1841), archétype de l'homme politique moderne veule et aux convictions à géométrie variable, le sujet de ce roman m'a d'emblée accroché: en l'occurrence, l'histoire d'un conservateur des bibliothèques nommé Gilbert d'Encôme, déterminé à "effacer" le souvenir du révolutionnaire de la terre. L'idée est excellente, mais ce pauvre conservateur s'y prend très mal et n'a aucune méthode pour y parvenir. En parallèle, sa vie de couple fait naufrage et, atteint du syndrome de Diogène (qui n'est jamais nommé comme tel), il entasse les livres et les documents de toutes sortes au point d'en perdre la raison.
Les qualités du roman sont nombreuses: le personnage est fouillé psychologiquement et son basculement dans la folie est très bien décrit, avec une grande sensibilité; de même pour les personnages secondaires, auxquels l'auteur confère une personnalité bien établie. Il y a une vraie tendresse dans la description des lieux, des boîtes des bouquinistes des bords de Seine au moulin perdu des Pyrénées.
Néanmoins, le trop-plein d'idées, parfois esquissées, parfois développées, ne permet pas d'aller au fond des choses : ainsi, il n'y a pas de vraie explication sur l'origine de la haine du personnage principal pour Bertrand Barère. Pourquoi Barère? Qui était-il? Quel est le lien entre Barère et sa volonté d'entasser les livres? Enfin, pour un conservateur des bibliothèques, ignorer jusqu'au fondement du dépôt légal (il prétend sauver les livres de la destruction tout seul, alors que la BNF, où il travaille, est là pour ça), c'est un peu gênant. On ne sait d'ailleurs pas non plus comment il est devenu conservateur... et c'est bien dommage.
Le personnage pense pouvoir effacer toute trace de Barère, en ne faisant disparaître qu'un seul livre, un dictionnaire de personnalités des Pyrénées: c'est dérisoire. La mémoire de Barère s'établit à travers des centaines de titres et même s'il n'a pas fait l'objet d'un grand nombre de biographies, il en existe, et lui-même a laissé des Mémoires.
Un conservateur - d'autant que Gilbert d'Encôme semble spécialiste des systèmes de gestion informatisé, n'aurait certainement pas procédé ainsi. de même, la discussion entre lui et son confrère espagnol est invraisemblable. Jamais des professionnels ne s'adressent la parole de cette manière. Jamais un supérieur hiérarchique ne s'adressera à une collègue en lui disant "mon enfant" (les dialogues sont de ce fait la partie la moins convaincante du livre)...
C'est peut-être la faiblesse majeur du roman: de ne pas s'intéresser aux fonctions que sont celles d'un conservateur d'aujourd'hui, alors qu'une grande partie de la trame romanesque en est redevable.
En résumé, un roman qu'on lit avec beaucoup de plaisir (surtout si l'on est de la partie), mais aussi avec beaucoup de regrets, tant le sujet était original et sympathique.