Grand moment dans la peau d'un démembreur réfugié dans un HP avant de changer de braquet...
Paru il y a quelques semaines, ce second roman de
Stéphane Legrand vous permettra une rare "expérience de pensée" : passer quelques jours en compagnie d'un tueur philosophique, bien décidé à éliminer la notion même de famille, à commencer par la sienne, après le massacre de laquelle il s'est réfugié incognito au coeur d'un hôpital psychiatrique, afin d'y ourdir un complot plus complet que son modeste essai, visant cette fois l'échelle du monde, avec l'active complicité de divers pensionnaires de l'institution.
"Peut-être t'imagines-tu désormais que le soir venu j'arpente les rues obscures avec des yeux injectés de sang, la bave aux lèvres et une grande hache émoussée, aux fins de trucider l'univers. C'est gravement insulter à ma dignité de penseur. Je ne suis pas une brute ou un fauve bandant après quelque proie à occire(*). Je suis une avant-garde théorique. D'ailleurs on y viendra.
(*) Je crois que tu regardes trop de films."
"Un poulpe hideux te poursuit dans une forêt de lames et, au moment où ses tentacules huileuses enfin te ceignent, il saigne une bile épaisse et noire sur ton visage : c'est ta petite maman qui enfante son bébé chéri - et toujours ton encombrant petit moi, le sacro sancto egoismo du pénible petit moi qui ne veut pas te lâcher la grappe, qu'on te refourre dans la tête à grands coups de famille : tu veux disparaître, t'évaporer, t'étoiler façon dynamite pour rejoindre l'ouvert, fumer le cigare du roi sans divertissement pour te fumer le crâne - mais on te demande de regarder mieux : à droite et à gauche papa, à droite et à gauche maman, et toujours au centre partout du cercle sans circonférence bébé et son bruyant et lamentable petit moi à la con encadré et inventé par les instances parentales et les imagos et les supports identificatoires et la position structurale du Nom, et toutes ces lassantes charlataneries de fête à Neuneu."
Entre savoureuses relectures de l'antipsychiatrie de Laing et de Cooper, références rusées aux films de slashers, ou critiques au pas de course de la trop grande mollesse d'un
Cioran, l'auteur, extrapolant et spéculant sur un fait divers estival pour lui donner une possible tenue philosophique, réussit largement son pari, en maintenant jusqu'au bout l'hésitation entre la paranoïa agissante, la réflexion désabusée et le franc rire.