LXXI
De cette idée des adultes que se fait tout jeune homme, à savoir qu'ils seraient plus adultes qu'ils ne le sont, provient l''habitude de s'effrayer à chaque faux-pas qu'il commet et de croire qu'il a perdu l'estime de tous ceux qui en ont été les témoins ou en ont eu connaissance. Puis le voilà qui se rassérène peu à peu, quand, non sans surprise, il se voit traité exactement comme avant. En fait les hommes ne sont pas si prompts à retirer leur estime, car il y aurait sans cesse à le faire, et ils oublient les erreurs, car ils en voient et en commettent beaucoup trop d'affilée. Ils ne sont pas non plus figés au point d'être incapables d'admirer aujourd'hui celui dont ils se gaussaient hier. Cela saute aux yeux si l'on se rappelle toutes les occasions où nous avons brocardé ou critiqué, en termes parfois très durs, tel de nos amis en son absence, sans pour autant qu'il soit privé de notre estime ou traité de façon différente lorsqu'il se trouve de nouveau devant nous.
XXVIII
Le genre humain, comme toute fraction, si réduite soit-elle, de celui-ci, se subdivise en deux catégories: ceux qui s'imposent par la violence et ceux qui doivent la subir. Ni loi, ni contrainte, ni progrès philosophique ou politique ne pouvant empêcher que tout homme fasse partie de l'une ou de l'autre, il reste que celui qui peut choisir, choisit. Il est vrai que tous ne le peuvent pas, ou qu'ils ne le peuvent pas toujours.
L'on peut prendre pour vérité générale que, sauf à de brefs moments, l'homme, en son for intérieur et à l'insu de tous, ne laisse jamais de nourrir, contre l'évidence, des illusions nécessaires à la tranquillité de son âme et sans lesquelles il ne pourrait vivre.
Il est curieux de voir combien l'excellence adopte fréquemment les manières simples, alors que les manières simples passent si souvent pour un signe de médiocrité.
La conversation la plus brillante et la plus sensée se compose en majeure partie de propos frivoles ou rebattus qui ne servent qu'à faire passer le temps. Il faut bien, en effet, que chacun se résolve à débiter quantité de choses banales pour pouvoir en dire parfois de rares qui ne le soient pas.
Dans les choses profondes, c'est toujours le petit nombre qui est le plus perspicace ; la majorité, elle, ne s'entend qu'aux évidences.
Le plaisir le plus solide dans cette vie est le vain plaisir des illusions.
A mesure qu'il avance dans la connaissance pratique de la vie, l'homme rabat chaque jour de cette sévérité avec laquelle les jeunes gens, cherchant sans relâche la perfection et mesurant toutes choses à l'idée qu'ils s'en font, ont tant de peine à pardonner les faiblesses et à estimer les pauvres vertus, éphémères et défaillantes, que l'on rencontre parfois chez les autres.
Ce ne sont pas nos défauts qui sont ridicules, mais le soin que nous prenons à les dissimuler et à feindre d'en être épargnés.
Voici deux vérités que les hommes en général n'admettent jamais : l'une qu'ils ne savent rien, l'autre qu'ils ne sont rien.