Citations sur Le cycle de Lanmeur, tome 3 : Mille fois mille fleuves (6)
Ce n'est pas l'espace qui nous emprisonne dans la solitude, mais le temps.
Naguère, j'avais peur de l'obscurité. La nuit, sur le fleuve, c'est le temps des bruits inhumains. Les murmures de l'eau. Le saut de bêtes ignorées. Le ricanement des génies. Le cri des rapaces. Le complot des roseaux. Aujourd'hui, le noir m'apaise. Il dissimule la fugitive que je suis devenue.
Les vieux, ils respectent un silence inquiet, comme s'ils espéraient passer inaperçus aux yeux de la mort.
Quand je demande à Stern pourquoi il est venu sur notre monde - car je me fais, je crois, à l'idée qu'il pourrait avoir dit la vérité - il me parle d'un grand dessein, qui est de rassembler en un seul peuple tous les humains, disséminés sur tant d'astres que lui-même n'est pas certain que la tâche sera jamais achevée.
Quand il évoque sa mission, ses yeux brillent d'une ferveur émouvante. Cette lueur ne peut cependant me faire oublier l'acuité de son regard, devant les offrandes déposées aux pieds du Vieux Saumon. En fait d'apostolat, les hommes oiseaux me font l'effet de s'occuper de commerce. Je ne comprends pas pourquoi Stern s'en défend.
D'une certaine manière, le Fils de Tous les Fleuves et l'homme issu du néant s'affrontaient. Le combat de Tan et d'Eulew recommençait, d'où naîtrait un monde nouveau. Or l'étranger n'inspirait pas que de la méfiance ; c'était aussi l'attrait de l'eau mère pour le ciel lointain qu'éprouvait le Vieux Saumon, et moi, à travers lui, je ressentais son désir. De ce désir, de cet affrontement, naissait la perplexité. Il me reste juste assez de lucidité pour éprouver la plus grande surprise de mon existence : le Connaisseur Suprême aussi connaîtrait le doute ?
Le village a consenti un gros effort pour notre viatique. Je n'entends pas le gaspiller. Gwener n'éprouve pas ce scrupule : il ruinerait Eilton , pour avoir deviné dans mon œil un éclair d'envie. Alors, je laisse en arrière les bijoux et les colifichets, faisant mine de m'intéresser davantage à l'architecture de telle demeure, dont les pilastres rosissent au soleil en déclin. Peut-être cette épreuve est-elle nécessaire pour me rappeler la réalité. Sans cela, la vie paraîtrait trop facile en ce lieu, où les lotus poussent sans qu'on les cultive.