"Mais où ai-je vu ce spectre ? Ce n'est pas la première fois que je le rencontre!"
Sur sa prière, le batelier lui avait désigné approximativement l’endroit de la ville où se trouvait la calle de Lima (la rue de Lima) et le regard du jeune homme ne s’en était plus détourné. Quand il débarqua, après avoir jeté quelques centavos à son homme, il repoussa brutalement l’assaut des guides, interprètes, pisteurs d’hôtel et parasites, pour courir dans la direction indiquée. Il arriva bientôt à la calle de Lima, qui semblait être la délimitation entre la vieille ville et la nouvelle. Au-dessus, à l’est, le haut commerce s’était groupé avec ses vastes immeubles, ses rues larges et droites, ses boutiques françaises, anglaises, allemandes, italiennes, espagnoles, qui se succèdent sans interruption. Au-dessous, tout l’enchevêtrement des ruelles étroites et vivement coloriées ; les colonnades, les vérandas s’avançant les unes vers les autres, prenant presque tout l’espace disponible. Raymond avait pénétré dans ce labyrinthe, bousculé par des Chinois, porteurs agiles de lourds fardeaux et par des Indiens paresseux. Quelques ranchos, quelques cabarets à matelots ouvraient leurs portes sur l’ombre fraîche de ce quartier que le jeune homme, qui n’était jamais venu au Callao, paraissait parfaitement connaître. À peine hésita-t-il à un carrefour un peu compliqué. Soudain, il s’arrêta, tout net, et s’appuya, un peu pâle, à la muraille décrépite d’une vieille masure dont la véranda entr’ouverte laissait venir jusqu’à lui une voix féminine, jeune, très musicale, mais aussi très assurée, qui déclarait en espagnol à un interlocuteur invisible :
— Eh ! mon cher Monsieur, c’est comme vous voudrez, mais à ce prix-là vous ne pouvez avoir que du guano phosphaté, qui n’aura plus que quatre pour cent d’azote, et encore !…