Dans la petite ville d'Endingen vit une communauté israélite traditionnelle. « On est ici en Suisse où l'on a vécu toutes ces années sur une île, à pied sec, au milieu des inondations» dit le revenant
Melnitz qui « se souvient de tout » et ponctue le récit en se faisant la voix de l'histoire du peuple juif et de ses malheurs.
Comme chez
Martin du Gard,
Romain Rolland, ou
Georges Duhamel, c'est la saga, sur plusieurs générations et deux siècles, d'une famille semblable à toutes les familles, avec tous les métiers (marchands de bestiaux, médecin, commerçants en tissus...) tous les caractères (du religieux de stricte observance au juif devenu goy), toutes les préférences sexuelles.
Le roman est typé en ce qu'il est truffé de références en yiddish qui justifient l'indispensable glossaire en fin d'ouvrage. Mais les épisodes rapportés, tragiques ou comiques, sont universels par l'humanisme chaleureux dont ils témoignent, car, comme le note l'auteur, « la bonne société ....ne fonctionnait guère autrement que la communauté juive d'Endigen ».
On est emporté dans cet univers familier et attachant, guidé par un arbre généalogique qu'il vaut mieux consulter en fin de lecture si l'on ne veut pas connaître trop tôt rencontres et unions des protagonistes ...
On comprend enfin les vraies raisons d'une disposition de la Constitution helvétique sur l'abattage rituel des animaux, question qui a intrigué des générations d'étudiants en droit, et on n'ignorera plus rien de ses règles subtiles. On rencontre, au congrès socialiste de Stuttgart en 1893, un étrange rabbin devenu athée qui ne cesse de « démontrer par des citations talmudiques l'inanité du Talmud ». On est initié aux mystères de l'interprétation numérologique. On découvre la splendeur des automobiles Buchet, les prodigieuses capacités fabulatrices du journal local. On partage les désarrois de deux adolescents, l'un juif, l'autre antisémite, engagés ensemble dans de folles équipées, « ni amis, ni ennemis, il devrait exister un mot pour ça... ». On vit l'effroi d'un enfant fasciné par le Panoptikum, musée des horreurs dans lequel il se perd...
Mille choses encore dans ce millier de pages qui sont un tourbillon d'émotions, dont on sort reconnaissant à l'auteur,
Charles Lewinsky, de nous y avoir plongé. A partir du quotidien de la petite communauté, il fait revivre tout le destin d'un peuple où les vivants et les morts ne se quittent jamais vraiment.
C'est, à coup sûr, un grand livre, superbement écrit, élégamment traduit, qui vous emporte et vous transporte.
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