Il y a toujours un prochain train pour Auschwitz
Theresienstadt après Westerbork. « A Westerbork règne une autre démence qu'ici, à Theresienstadt. Mais elle aussi a sa méthode et ses lois. Pour pouvoir être expédié à Auschwitz en tant qu'unité humaine comptabilisée de plein droit, il faut être âgé d'un moins une demi-année ».
Theresienstadt « le ghetto le plus culturel existant dans le mode d'aujourd'hui ». Theresienstadt, la vitrine pour épater la Croix Rouge, les journalistes et le monde. le camp mensonge exposé comme envers des camps d'extermination niés.
Kurt Gerron, acteur et metteur en scène, « Mon principal défaut ? Je crois possible de faire une mise en scène du monde » face au tournage d'un film pour montrer (« Juste montrer ce qui n'est pas. Croupir en enfer et narrer le paradis ») au monde les conditions de vie agréables à Theresienstadt, « Une ville dont les rues ne sont pas sillonnées, chaque jour, de charrettes emportant les cadavres de vieillards morts de faim ». le choix sans choix, « Je dois, de mon plein gré, raconter ce qui n'est pas. Taire ce qui est ».
Le temps particulier d'un camp, le temps du gris avant la fermeture de la porte, le temps du dernier acte, « celui qui, au théâtre, selon la règle immémoriale, est toujours le plus court ».
Le cabotinage de l'artiste, « La loyauté est une chose, les applaudissements une autre ». La mise en scène de sa propre vie, l'invention et la réalité.
Le temps de la mémoire, celle de la première guerre mondiale, « Notre jeunesse a pris fin à l'été 1914 ». Bon pour le service, « Seul un cerveau malade peut avoir imaginé cette histoire de « bon (ou pas) pour le service ». Depuis quand un boucher ne fourre-t-il que de la viande de première qualité dans sa machine à chair à saucisses ? Comme si l'on ne pouvait pas sauter sur une mine lorsqu'on a les pieds plats ! ». La grande boucherie, mais dans les formes, « Envoyer une classe de garçons de dix-sept ans à la guerre, les expédier à l'abattoir au nom de l'empereur et de la patrie, rien à redire. Pourvu que ce soit dans le strict respect des formes ». Les imbécillités de l'institution et de la hiérarchie militaire. L'apprentissage du pliage du lit, de la marche cadencée, du salut, etc., mais « Pas un mot sur les choses qui nous auraient vraiment servi. Comment creuser avec du feldspath la terre mouillée. Qu'il ne faut pas se troubler si on tombe sur un cadavre. Pourquoi il ne faut pas donner à boire à un blessé au ventre. Comment craquer des poux. Pas un mot de tout cela ». La blessure et la croix de guerre. Cette guerre que rien ne peut effacer, « Quelques millions d'hommes s'étaient abattus et fait sauter mutuellement. Ça ne se laisse pas suspendre dans un placard comme les anciens uniformes. C'est imprimé en vous ».
Le temps des acteurs, du théâtre et du cinéma, de la gloire, Peter Lorre, L'ange bleu,
Marlène Dietrich, Emil Jannings, Max Reinhardt Bertold Brecht peu apprécié, L'opéra de quat'sous…
Et la femme aimée, Olga.
Tourner un film :
« Réalisateur : Kurt Gerron
Quel genre d'homme serais-je si je fais cela ?
Un homme qui ne sera pas expédié à Auschwitz.
Un homme qui aurait mérité d'être expédié à Auschwitz.
Il faudrait pouvoir prier. Il faudrait qu'il existe un Dieu que l'on puisse questionner.
Seulement : il n'y a pas de Dieu. Surtout pas de bon Dieu ».
La mémoire de l'enfance, des parents, « Maman savait peler une orange avec un couteau et une fourchette, mais non comment prendre quelqu'un dans ses bras ».
La faim et la dysenterie.
La mise en définition des juifs, la suppression des droits, de la citoyenneté, le passé nié, « Les circoncis, à présent, on leur faisait aussi l'ablation de leurs titres ».
La complicité organisée, « Il nous ont fait instituer des Conseils juifs. Conseils des Anciens. Administrations. Mille bureaux où s'écrivent des listes pour les attributions de nourriture et les déportations. Nous faisons le travail pour eux. Suicide avec comptabilité en partie double. La victime doit fonctionner à l'allemande ». Faire en se persuadant « à chaque fois qu'ils évitent ainsi des horreurs pires encore ».
L'espace de la fiction et de l'imaginaire, « Nos vérités fictives n'ont pas besoin de tenir une éternité. Rien que le temps de chanter la chanson ou de jouer la scène jusqu'au bout. Rien que jusqu'au prochain black-out », jusqu'au départ du train, celui du dernier voyage, ce train en direction d'Auschwitz.
La faim, toujours la faim.
Tourner un film, « On vient de me proposer le plus grand film de mon existence. Avec une ville entière pour la figuration. Je peux décider, librement, si je veux le faire ou pas. En toute liberté. Je peux aussi monter dans le prochain train pour Auschwitz. C'est comme je veux ».
Des questions sur l'aveuglement. « Nous ne manquons pas de grands cerveaux. Quoiqu'ils n'aient pas eu l'intelligence de quitte l'Allemagne à temps ».
Les hommes ordinaire, la banalité du mal. « A la réflexion, tous les nazis de haut vol que j'ai connus étaient ce genre de comptables. Des administratifs petit-bourgeois. de ceux qui accrochent un cintre derrière la porte de leur bureau afin de pouvoir retirer leur veste d'uniforme sans qu'elle se froisse. Qui refusent de signer une condamnation à mort si la secrétaire a laissé s'y glisser une faute de frappe. Ils ont un abonnement au théâtre. Peu leur importe le programme pourvu qu'ils y aient leur place réservée ».
Semaine après semaine, toujours le temps suspendu, et la sécurité comme illusion. « Chaque semaine, la peur. C'était ça le pire ». Chaque jour et des histoires, des réminiscences, chaque jour de survie.
Les listes, être heureux « que je sois sur la liste et pas eux ».
Le cinéma. « Il faudra bien qu'un jour ou l'autre viennent des jours meilleurs. Coup de cymbales » le temps de la fuite, du cinéma intérieur, les rêveries, les constructions valorisantes de soi, « mais cela ne s'est pas passé comme cela ».
De plein gré, jusqu'au moment où un SS…
Et Olga.
La vie jusqu'à l'instant… le poids des mots, de l'humour, de la désespérance et de l'amour dans le monde de presque-la-mort. Justement de presque-la-mort. Là est toute la différence.
« Beaucoup de choses, dans ce roman, sont inventées. Mais ce qui suit est hélas authentique : le 30 octobre 1944, Kurt Gerron et sa femme Olga furent assassinés à Auschwitz. Trois jours plus tard, les chambres à gaz arrêtèrent de fonctionner. »
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