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Critique de Woland


Etoiles notabénistes : *****

Paradiso
Traduction : Didier Coste

ISBN : 9782020364232


Paru en 1966, voici l'un des ouvrages les plus curieux que, si vous parvenez à vous y introduire, vous aurez jamais lu. Officiellement, c'est un roman. Pour certains - et ils ont raison - un roman poétique. Pour d'autres - ils n'ont pas tort non plus - un roman philosophique. Et, en ce qui me concerne, une espèce de collage rousselien. le langage utilisé est particulièrement soutenu (d'où, je suppose, le rapprochement avec Marcel Proust, bien que, il faut l'avouer, Lima possède également une façon très particulière de traiter le temps - celle de Proust restant cependant plus cartésienne et bien plus linéaire) et contribue, avec l'évocation colorée d'un Cuba et d'une La Havane pré-castristes, à façonner une ambiance onirique à souhait.

Grosso modo, "Paradiso" se divise en trois parties. Mais sachez d'abord que l'axe central en est José Cemí, le fils du Colonel, d'origine basque, et de Rialta. C'est vous dire que la première partie, entièrement consacrée à l'histoire de cette union et des origines de la famille, avec description détaillée de ses nombreux membres, dont l'extraordinaire grand-mère maternelle, Mme Augusta, relève, sans conteste, du genre réaliste. le tout jeune José y apparaît comme un enfant timide, introverti, déjà profondément rêveur, et asthmatique, ce qui, à cette époque qui ignorait la ventoline, était, pour un fils de roi comme pour un fils de berger, un véritable handicap, voire une authentique épée de Damoclès éternellement suspendue au-dessus de celui qui en souffrait.

L'asthme étant un trouble qui, en dépit de ses manifestations physiques, puise ses origines dans le psychisme, le lecteur en conclut très tôt que le petit José est doué d'une sensibilité particulièrement affûtée.

Se déroule alors tout un cortège de personnages hauts en couleur, Blancs d'origine espagnole et mulâtres, brossés non pas à grands coups révélateurs mais de façon quasi pointilliste. Tout un paysage, celui du Cuba rural et urbain du début du XXème siècle, se dessine peu à peu, dans une floraison de mots qui évoquent irrésistiblement l'extraordinaire jubilation avec laquelle, sous ces latitudes, la Nature part à l'assaut des jardins, des forêts et des moindres petits creux abritant herbe et insectes. Dès le départ, on perçoit la puissance indéniable de cette terre enchantée mais où les contrastes sont si tranchés, aussi bien matériellement que socialement. le but de l'auteur est de nous faire ressentir combien, au-delà l'exubérance de leur taille, de leur apparence et de leurs couleurs, les élément cubains dans leur ensemble, hommes, animaux, végétaux ..., puisent leurs forces - et leur âme - dans des racines étonnamment profondes dont certaines sont importées du Vieux Continent.

Réaliste, soit. Mais attention, il faut déjà s'accrocher. "Paradiso" n'est pas un livre qui se lit facilement, fût-ce dans cette partie - la plus longue, à mon sens - qui repose sur les descriptions de la réalité et se veut plus objective que subjective.

Pour la deuxième partie, où nous retrouvons un José Cemí jeune homme et étudiant à La Havane, mieux vaut avoir étudié la civilisation et les philosophes grecs. Mieux vaut aussi ouvrir une oreille tolérante à l'authentique plaidoyer pour la pédérastie que nous y présente, accompagné de différentes sauces, le personnage énigmatique de Foción, (dont on se demande si Montherlant n'est pas le modèle non avoué), un Foción qui finira dans un Centre psychiatrique (mais ne savons-nous pas que la période castriste, qui succédera à ce "Paradis", ne se montra guère indulgente pour les homosexuels ?) Foción est amoureux fou d'un étudiant plus jeune et ami de José Cemí, Fronesis. Toute la seconde partie, qui commence à ouvrir la porte à un univers et surtout à une façon d'étaler ou de rétrécir le temps qui font irrésistiblement penser à Raymond Roussel, se concentre sur ces trois personnages, Cemí, Fronesis et Foción. Sans se renier, le langage poétique de Lima y glisse plus d'une fois vers l'abstraction, voire vers une complexité utilisée à dessein pour désorienter un lecteur qui, dans la plupart des cas, laissera à mon sens tomber l'ouvrage en se demandant pourquoi, puisqu'il semblait au départ raconter l'histoire d'une famille, l'auteur se perd maintenant dans des directions aussi subjectives et pour le moins gênantes.

La troisième et dernière partie fut, pour moi, une apothéose roussélienne dans le plus pur sens du terme. Rythmée par la mort de Mme Augusta, maintenant bien veille et atteinte d'un cancer, et par la réapparition d'une connaissance de José Cemí, Licario, la tourmente se lève et le temps s'emballe. le lecteur, ravi ou épouvanté, heureux d'avoir tenu jusqu'à ce paroxysme même s'il n'en a compris que la moitié ou, au contraire, furibond de s'être fourvoyé dans cette équipée surréaliste où les tramways fonctionnent avec des têtes de taureau montées sur pignon, n'a plus qu'à se laisser emporter. Les images, du passé, du présent, du futur (?) défilent, les personnages, vivants ou morts, se télescopent, les événements, les sensations, les pensées se mêlent, s'entrelacent, s'imbriquent, se fondent ...

On ferme le livre complètement déboussolé, en se demandant ce qu'on a lu et en estimant très sincèrement que, après "Paradiso", l'"Ulysse" de Joyce est d'une simplicité exemplaire. Les uns seront frustrés, c'est certain. Les autres, tout en avouant n'avoir saisi que la moitié de ce que l'auteur a tenté d'exprimer, garderont une impression de soleil rayonnant, de Nature triomphante, de discours philosophiques prétentieux à plaisir afin de dissimuler les tristes réalités de la chair, et d'une folie joyeuse et triste, grotesque et hallucinante qui, si l'on y réfléchit bien, convient à merveille à Cuba et à son Histoire. Enfin, pour les lecteurs férus d'onirisme et de poésie, ce livre, qui dut certainement être peu aisé à traduire, constitue une pure merveille, un peu alambiquée par moments, soit, mais qui recèle bien souvent de vrais bijoux. N'ayant lu aucun autre ouvrage de José Lezama Lima, je ne saurais dire s'il s'agit là de son écriture habituelle ou s'il s'est livré à un exercice de style. En tout cas, sur le plan poétique et recherche de l'écriture, parfois au mépris de la compréhension première du lecteur, ce livre vaut largement le détour. Il contraint en effet le lecteur curieux ou qui aime relever les défis à aller plus loin, à chercher, à rechercher, y compris en lui-même ... Sans qu'il trouve jamais la réponse à cette unique question : pourquoi Lima a-t-il écrit "Paradiso" de cette façon qui se déconstruit peu à peu ? du coup, comme l'on pense aussi au prodigieux Faulkner, on est tenté d'en apprendre un peu plus sur José Lezama Lima car son "Paradiso" n'est pas une copie mais bel et bien l'aboutissement d'un parcours d'écriture dont on voudrait bien connaître les étapes.

A ne réserver toutefois qu'aux lecteurs chevronnés et qui ne se laissent pas facilement déstabiliser par la forme. ;o)
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