AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Lenocherdeslivres


Un jour, une planète apparaît dans le système solaire. Je dis bien « apparaît ». Elle ne vient pas comme une astéroïde, s'approchant peu à peu, ne se déplace pas progressivement des confins de l'espace jusqu'à une orbite proche de celle de notre Terre, surveillée par des télescopes inquiets. Non, un jour, elle n'était pas là. le lendemain, elle est là. D'où vient ce mystère ? Les habitants de notre planète s'interrogent et envoient une mission sur Sitive, du nom de la découvreuse, accidentelle, de ce corps étranger qui va bouleverser de façon définitive la vie des humains.

Commençons par crever l'abcès. Ce qui surprend au premier abord à la lecture de Visitece n'est pas l'histoire. C'est la façon dont elle est écrite. Il suffit de lire, plus bas, la présentation de l'éditeur pour s'en convaincre. Je place ici un petit extrait qui explique ce changement : « Yel y a plus de vingt ans, on a modifié lae langage pour s'assurer que les vieils réflexes de domination des humaines et de destruction des écos ne reviennent pas. » Li-Cam a écrit tout son roman dans une langue possiblement future, qui supprime les marques de domination du masculin sur le féminin. Je vois déjà certains se récrier et hurler à la mort de la langue française. On se calme. C'est un récit expérimental, qui n'a rien de manichéen. Il ne veut pas démontrer de façon lourde et outrageuse (comme par exemple R.F. Kuang, qui dans Babel, dessert son propos en se montrant d'une trop grande insistance) la nécessité de changer de langue. Il offre juste une possibilité, une démonstration de ce que cela pourrait être et des raisons de ce choix.

Et je dois dire que si, au début, j'ai été pour le moins rétif à cette lecture – je l'ai d'ailleurs interrompue car mon esprit n'était pas assez disponible – quand je m'y suis mis à nouveau, cela ne m'a pas posé longtemps de problème. Il est toujours agréable de voir combien notre cerveau s'adapte rapidement. Avec un peu de flexibilité, on comprend tout parfaitement. de fait, j'ai dévoré le livre en un peu plus d'une journée. Juste avant de passer à mon avis sur l'histoire proprement dite, encore une citation qui explique davantage encore les raisons de ce changement : « Attention, yel y a l'Histoire et l'histoire, comme pendant longtemps yel y a eu l'Homme et la femme. On dit humaine maintenant, je sais, mais n'empêche que c'est encore trop présent dans nos esprits, dans nos inconscients, cet grand H et cet petit f. Ça a duré longtemps, ça s'est imprégné en nous, dans notre sang,… ». C'est une façon de lutter contre un passé de violence et de domination. Placé en grande partie sur le dos des hommes. Mais pourquoi pas, après tout. Quand on voit les massacres qui ont parsemé les centaines d'années de civilisation, on peut se dire que peut-être, une autre vision des choses pourrait apporter une certaine amélioration. Je n'ai pas d'avis arrêté sur la question, mais l'hypothèse n'a rien de choquant, surtout telle qu'elle est présentée ici.

Revenons à l'univers décrit dans Visite. On dirait un monde post-apocalyptique tant la vie est est proche de la survie. En fait, c'est plutôt une Terre post réchauffement climatique et post Grand Déclin : « ce ne fut pas l'effondrement brutal que beaucoup avaient prédit, mais un lent et long déclin économique et démographique. » Les humains ont dû faire avec la perte des ressources et le respect obligatoire, pour une question de survie, de la nature. On parle depuis d'écos. Il faut les respecter pour pouvoir continuer à exister sur la planète. Et donc la vie sociale est totalement bouleversée. Adieu le luxe que nous connaissons actuellement. Adieu les objets qui ne servent à rien qu'à flatter des egos ou assouvir de petits plaisirs. On va à l'essentiel. Ce qui n'empêche pas les écrans et les communications par réseau. Mais limitées.

Et tout le monde doit collaborer. Les collectivités s'organisent avec des tableaux de tâches à effectuer. Tout le monde fait sa part et l'ensemble tourne plutôt pas mal. Bien sûr, par rapport à notre société actuelle, où tout paraît simple (enfin, devrait apparaître simple) pour ceux qui ont accès à l'essentiel des biens, le bilan est négatif. Mais, dans les circonstances imaginées par Li-Cam (et qui pourraient bien représenter notre avenir à plus ou moins long terme), ce n'est pas si mal. Et cela donne presque envie parfois. de plus, ce n'est pas sans rappeler par certains côtés le monde décrit par Becky Chambers dans ses Histoires de moine et de robot (Un psaume pour les recyclés sauvages et Une prière pour les cimes timides) : solidarité, bienveillance (qui n'est pas un gros mot, même si ce terme est bien galvaudé depuis quelques années). Y compris la protection de certains zones où les humains ne peuvent se rendre que pour de très bonnes raisons, afin d'éviter toute nouvelle dégradation qui pourrait être fatale finalement.

Mais tout cet équilibre, déjà précaire, est mis à mal par l'arrivée de Sitive, l'étrange planète dont j'ai parlé en introduction. Personne ne comprend rien à son apparition et cela occupe tous les esprits. de plus, des évènements surprenants font leur apparition. de façon progressive. Des sons, des rêves. Est-ce directement lié à Sitive ou n'est-ce qu'un effet secondaire ? Les humains, inquiets, projettent-ils ainsi leurs angoisses ou la nouvelle planète a-t-elle une réelle influence ? Beaucoup de questions qui prennent de l'ampleur au fur et à mesure que les pages se tournent. Les perturbations prennent de l'ampleur, y compris dans le texte : certains passages proposent des blocs de textes sans ponctuation, sans majuscule, alignant les phrases les unes à la suite des autres, comme si la pensée des personnages perdait de la cohérence et devenait une suite de mots à la logique fragile. Encore ce jeu sur la langue.

En attendant, l'expédition envoyée sur Sitive fait des découvertes surprenantes. Cette planète recèle de la vie. Mais très différente de celle que nous connaissons sur la Terre. Végétale et assez monotone. Elle m'a fait penser à ce qu'on rencontrait dans les récits de SF classique (chez Curval ou chez Demuth par exemple). Les plantes qui ont envahi les lieux autour du site d'atterrissage de l'engin envoyé par les humains sont assez semblables. Et gigantesques. Mais sont-elles seulement des plantes ? Possèdent-elles une volonté, un esprit ? Encore des questions qui parsèment le roman.

Je pourrais parler également de la place des I.A. (eh oui, encore les I.A. : cf. entre autres (I.A. 2042 – Dix scénarios pour notre futur de Kai-Fu Lee & Chen Qiufan, Alfie de Christopher Bouix, le Système de la Tortue de Pierre Raufast, Resilient Thinking de Raphaël Granier de Cassagnac, Composite et Les Machines fantômes d'Olivier Paquet, Jour zéro de C.Robert Cargill ou John von Neumann. L'homme qui venait du futur d'Ananyo Bhattacharya) : ici, ce sont des quants, qui permettent de maintenir cette société sur les rails en analysant et proposant des solutions au vu des situations. Mais je dévoilerais encore trop d'éléments sur ce roman et vous priverais des surprises qui font le miel de cette lecture.

Visite est une lecture exigeante mais qui prend vite au coeur. Ce roman dépeint une société future très réaliste dans ses objectifs et les moyens mis en place. Il propose aussi une galerie de personnages attachants, suffisamment nombreux pour offrir de multiples points de vue, variés, et donc proposer aux lecteurices des raisons de s'attacher à ce récit. Un texte que je suis vraiment ravi d'avoir lu car il m'a distrait et, surtout, m'a permis de prolonger certaines de mes réflexions sur notre avenir. Mais aussi sur le pouvoir de la langue, autre thème qui m'est cher.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
Commenter  J’apprécie          295



Ont apprécié cette critique (29)voir plus




{* *}