Mais la vie a repris ses droits dans la ville mutilée – une vie foisonnante et populeuse, résurrection d’une époque révolue : les temps d’avant le cyberspace… Virus aurait aimé s’attarder dans cette outzone étendue à l’ensemble du pays, mais Deckard a argué qu’il devait d’abord achever sa mission ; après, on verrait… Lui se sent très mal à l’aise : il a effectivement l’impression d’avoir fait un bond dans le passé, et n’a qu’une envie : retrouver son époque et la bonne vieille réalité virtuelle où il baigne comme un poisson dans l’eau. En ce moment, il suffoque dans la vase. Même s’il connaît la réalité, ce n’est pas son milieu de prédilection – surtout pas cette réalité.
Cependant Deckard répugne à affronter Cyberkiller sans avoir la moindre idée de quoi il retourne. « Bien connaître l’ennemi, c’est déjà la moitié de la victoire » : il a fait sien cet adage tiré de L’art de la guerre de Sun Tzu, un ouvrage multimillénaire qu’il a lu en version papier de surcroît. Là réside aussi la supériorité de Deckard sur les autres decybs : il n’a pas oublié l’ancienne culture, les façons de vivre de jadis, et en tire toujours un enseignement. Donc : avant de traquer Cyberkiller, d’abord rencontrer ses victimes.
Il en appelle la liste sur le moniteur de son œuf, auquel il demande un classement géographique : 1387 victimes recensées, réparties sur toute la planète, avec trois zones de concentration : USA, Europe et Côte Asiatique. (« Normal, se dit-il. Ce sont des zones de concentrations de nerds. Le prédateur va là où sont les proies… ») Seulement trois survivants : l’un passe son temps à hurler malgré les neuroleps perfusés en permanence, l’autre s’est enfui de l’hosto, a carrément disparu dans la nature ; reste la troisième, Minilys, apparemment la moins atteinte.
Peut-être Deckard réussira-t-il à obtenir d’elle – ou de sa cyberdeck, si par chance elle a sauvegardé la partie en cours – quelques indices sur l’origine de ce jeu meurtrier…