AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Marie987654321


Rien n'est plus d'actualité dans notre Europe qu'on dit couramment troublée, que de revenir vers les "Lumières", généalogie intellectuelle de notre conception du monde. L'introduction le rappelle : ce sont les Lumières que nous invoquons lorsque l'obscurantisme frappe de ses attentats sanglants.

En contrepoint, ce sont ces Lumières, cet héritage qui fait l'objet de critiques virulentes : elles ne seraient que le vecteur d'une domination occidentale satisfaite d'elle-même, l'origine du colonialisme, des injustices et des crimes commis au nom de la "civilisation". Loin d'être universelles, elles ne s'appliqueraient qu'à un moment donné, dans un territoire donné et n'auraient aucun sens ni aucune valeur pour d'autres cultures et d'autres époques. Elles seraient le point de départ de la domination capitaliste, de la prééminence de l'économie, des excès de l'individualisme et de la consommation hédoniste.

La chronologie fait droit à ces critiques : l'expansion européenne du XIXème se voulait civilisatrice, lutte contre "l'obscurantisme" des croyances et moeurs traditionnelles imposant par la force ses valeurs et ses pratiques. La conviction de l'universalité de son modèle a conduit à l'imposer "pour le plus grand bien des peuples" ; d'autant que cela confortait les intérêts économiques et donnait un vernis moral. Voltaire et Diderot sont-ils les cautions de la colonisation ?

L'auteur, spécialiste du XVIIIème, procède à une relecture des textes classiques ou moins connus en s'appuyant sur la recherche historique la plus récente, principalement anglo-saxonne.

> "Nous ne sommes pas condamnés à renoncer à l'héritage des Lumières. Mais nous devons l'assumer comme un héritage pluriel. Non pas un credo rationaliste universel qu'il s'agirait de défendre contre ses ennemis, mais l'intuition inaugurale d'un rapport critique d'une société à elle-même. Revendiquer l'héritage des Lumières implique donc nécessairement de réfléchir aux contours du "nous" qui réclame cet héritage, qui affirme cette filiation, qui prétend que "tout nous regarde". ...... le dialogisme des Lumières, c'est aussi ce qui permet d'élargir le "nous", de le rendre hospitalier ou, du moins, d'en desserrer l'évidence. " (page 30)

Il s'attache à démontrer principalement la diversité et les contradictions des auteurs qui se rangent sous cette désignation : les incontournables Voltaire, Rousseau, Condorcet et Diderot mais aussi Roberson, Raynal, D'Holbach, Volney et d'autres. La pensée des Lumières est traversée de contradictions. Les auteurs en sont conscients. Contestataires devant les injustices, ils sont soucieux de voir la raison et la connaissance prévaloir. Ils veulent voir leurs idées atteindre ce qui devient le public et et ne pas rester l'apanage des quelques privilégiés fréquentant les salons. Certains tentent d'influencer les rois et les puissants, car c'est ainsi que leur monde fonctionne. le développement de l'imprimerie et des journaux permet l'apparition de l'espace public (référence à Habermas), élément central des Lumières.

Et déjà les philosophes s'inquiètent des charlatans et des démagogues qui peuvent tout à loisir utiliser les journaux pour abuser le peuple et manipuler les affects. Que dirait Voltaire devant Internet ?

Le chapitre consacré au pouvoir du crédit, à la relation du crédit social et du crédit économique, base de notre économie, est un peu déroutant. le développement du commerce (sociabilité et économie) doit permettre la prospérité et la paix. L'auteur accorde une large place aux travaux de l'historienne américaine Clare Crowston sur la mode. Elle y démontre l'unicité des mécanismes du crédit moral et du crédit économique. "Le crédit d'un individu est la capacité à agir que lui procure la confiance qu'il inspire".

Comment peut-on éclairer le peuple ? La place du philosophe (et celle de l'intellectuel engagé du XXeme) est-elle dans la contestation radicale ou dans le conseil aux puissants éclairés ? Comment la masse du peuple, peu réceptive aux débats philosophiques peut-elle être éduquée? Condorcet est convaincu des possibilités d'émancipation par le savoir (un magnifique extrait illustre cette conviction , page 277), alors que pour beaucoup d'autres auteurs, il s'agit d'une difficulté majeure.

Le chapitre consacré à l'inclassable Sade est certainement un des plus révélateurs du livre. Certes, l'homme était un libertin violent, un noble dissolu et arrogant. Mais ces récits semblent poursuivre à leur point ultime les idées des Lumières sur la place de l'individu et sur la contestation des valeurs traditionnelles, de la religion, de la famille ou de toute forme de morale naturelle. Les pulsions de l'individu sont la seule morale. Il peut donc tout faire : inceste, viol et meurtre. Une critique par l'absurde (l'inceste est à favoriser car il étend les liens familiaux, la prostitution permet de donner naissance à des enfants sans père qui seront attachés à la République), une parodie parfois un peu gore ? Nous alerte t'il ? Nous interroge t'il avec sarcasme sur les limites de la critique des préjugés et des conventions ?

Le dernier chapitre est consacré à l'évolution intellectuelle de Michel Foucault qui le conduit à reconnaitre la place et la valeur des Lumières.

Les Lumières venues du 18eme nous incitent tous et toujours à la réflexion critique sur nous-même (nous n'étant pas nécessairement blanc et européen] et la société, quelles que soient les ambivalences de la pensée et de leur inscription historique.
Commenter  J’apprécie          00







{* *}