Dans cet ouvrage,
Robert Linhart, intellectuel soixante-huitard, raconte son établissement chez Citroën, c'est à dire son entrée dans l'usine, en tant qu'ouvrier spécialisé, parmi les plus bas échelons, au coeur de ce qu'il espère être une lutte sociale acharnée.
On découvre avant tout la maladresse de l'intellectuel, éternel cliché qui revêt pourtant une immarcescible part de vérité, incapable de faire une tâche simple à la chaîne. C'est révélateur du fossé qui sépare la majorité des penseurs des classes défavorisées qu'ils croient défendre, et particulièrement amusant quand on sait que Linhart était maoïste, compte tenu du travail auquel se sont trouvée astreints les intellectuels sous Mao.
Un élément particulièrement intéressant du livre concerne l'auto-organisation des ouvriers par race, nationalité et même village d'origine. Les cultures s'exportent sans altération, avec une reconstitution au sein des ateliers des hiérarchies autochtones.
Linhart décrit avec sagacité l'hypocrisie des chefs qui font mine d'analyser le travail réalisé par les ouvriers comme s'il s'agissait d'oeuvres d'art, s'enquérissant des conditions de température ou d'humidité de l'atelier, non pour les ouvriers mais pour les objets qu'ils fabriquent, la matière ayant ici bas pris le pas sur l'humain.
L'usine subit les règles de la raison cartésienne : matérialisme et divisionisme. Ainsi, les ouvriers sont déshumanisés, esseulés, épuisés par les cadences et donc difficilement capables de s'organiser en syndicat, tels des prisonniers.
La lecture est rendue aisée par le talent littéraire certain de
Robert Linhart qui nous fait ressentir l'humiliation des chefs, le broyage de la chaîne, l'excitation à l'approche de la grève, l'angoisse de l'échec du soulèvement populaire, etc.
On retrouve dans l'expérience d'établissement de Linhart les mêmes conclusions que
Simone Weil tirait 35 ans auparavant : les ouvriers ne subissent pas seulement une violence de classe mais avant tout une oppression des machines. L'inexorable mouvement des machines et la privation de la liberté en tant qu'accomplissement par le travail formate des individus fantomatiques, brisés, dépressifs et résignés. de cela résulte la quasi impossibilité de s'organiser pour lutter, la majorité étant ainsi rendue inoffensive, inerte, impuissante.