« Omnia vincit amor » disait déjà Virgile dans ses Bucoliques. L`amour triomphe de tout. J`ai tout quitté par amour pour me marier en Bretagne. Je n`ai pas trouvé de travail. J`ai poussé la porte des agences d`intérim et ça a commencé comme ça...
Il faut toujours savoir d`où l`on parle. J`ai écrit en tant qu`intérimaire, ne sachant si j`allais être reconduit dans mes missions, pour consigner cette immense étrangeté ouvrière que je découvrais. J`ai écrit pour que mon épouse comprenne, un peu, ce que mes mots peinaient tant à lui dire le week-end. J`ai écrit sur Facebook après chaque journée quand je n`étais pas trop ravagé de fatigue. J`ai écrit quand, ravagé de fatigue, il fallait quand même écrire. J`ai écrit en étant sûr d`être renouvelé dans mes longues missions d`intérim. J`ai écrit et Jérôme Leroy, un camarade et ami publié à la Table Ronde, a proposé d`envoyer mes textes à sa maison d`édition qui est devenue la mienne.
Il peut se lire ainsi ou autrement, ce roman comporte autant de portes d`entrées que de retours de lectrices et de lecteurs : ouvriers, psychanalystes, poètes, chômeurs, professeurs, autres. Tous sont lecteurs et y raccrochent leur sensibilité. Ce livre ne m`appartient plus et c`est une dépossession bienheureuse.
On ne peut effectivement pas raconter l`usine. C`est elle l`héroïne de l`histoire, c`est un personnage à part entière qui a imposé son rythme à la forme du roman. Je ne suis pas de taille à lutter avec ses machines, ses chefs, ses bruits et ses cadences, aussi ai-je dû la prendre de biais, par la bande, en douce, dans le secret de la fatigue et de mon écriture pour tâcher de raconter un peu de ma vérité d`ouvrier. Et c`est en écrivant que je me suis affranchi d`elle et que j`ai compris que je n`étais plus un simple ouvrier mais bien un écrivain dont l`usine était devenue l`objet.
L`industrie du livre est autant une industrie que celles des fruits de mer ou de la viande. Peu m`importe l`étiquette. À la ligne est un livre et là est la seule chose qui vaille.
Je n`en sais, à vrai dire, fichtrement rien. « Il y a plus affaire à interpréter les interprétations qu`à interpréter les choses, et plus de livres sur les livres que sur autre sujet : nous ne faisons que nous entregloser. » C`est de Michel de Montaigne, évidemment, qui ne faisait que répéter ce que disait déjà Homère. L`amour, la politique au temps d`Henri III, la poésie de Virgile qui aide à penser le monde. Pénélope qui attend et mes bulots comme autant de cyclopes.
Ces missions à l`usine sont, pour aujourd`hui, du passé. La direction de l`abattoir à qui j`avais envoyé un exemplaire avant publication n`a pas renouvelé mon contrat. J`ai donc le privilège d`être au chômage pour assurer la promotion du livre un peu partout en France à l`initiative de libraires.
Je pense que c`est grâce à Mme Véronique Collard, ma professeure de lettres en première et terminale littéraire, qui avait proposé un groupement de textes autour des romans épistolaires. J`étais jeune, boutonneux, déjà bigleux, je n`avais pas de mobylette et je n`ai jamais su jouer de la guitare. Je n`avais rien pour plaire aux filles. Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos et Les Jeunes Filles d`Henry de Montherlant m`ont appris que je pouvais, parfois, réussir à séduire en écrivant des lettres d`amour.
Madame Bovary, évidemment.
Ce sont les Vies minuscules, de Pierre Michon, découvertes quand j`avais 21 ans – en 1999, donc. J`ai eu l`impression d`être le roi du monde à la lecture de ces pages drues et foisonnantes et d`être l`unique détenteur d`un trésor. Quand je me suis rendu compte que ce livre était paru en 1984 et que je n`étais qu`un de ses lointains adorateurs, j`en ai été flatté. De voir qu`il était encore possible d`écrire comme ça aujourd`hui et d`être aimé pour ça. Et même si je leur préfère depuis Vie de Joseph Roulin, elles furent un tremblement.
Les Trois Mousquetaires, Vingt ans après, Le Vicomte de Bragelonne. La trilogie d`Alexandre Dumas dans son plus grand génie. Car si tout le monde a lu, lit ou lira Les Trois Mousquetaires, ce chef-d`œuvre absolu de style, de panache et d`amitié, c`est en vieillissant que nos amis D`Artagnan, Porthos, Aramis – que je n`ai jamais pu blairer sauf justement dans ce génial passage de Bragelonne où il devient Général des Jésuites – et Athos – ah mon Athos, si tu savais comment je rêve d`être à ta hauteur de bouteilles vidées dans le premier tome puis de classe, de sagesse, de pureté, de noblesse – acquièrent ce qui fonde l`esprit du roman. La douceur de la nostalgie, des amis perdus, de la vieillesse qui arrive pas à pas, et qu`on éloigne encore une fois à coup d`épée.
Il ne s`agit pas d`une honte mais d`un défi. Un jour, je parviendrai à lire et apprécier La Recherche de Marcel Proust. Elle me résiste encore. J`ai beau essayer comme tous les 5 ans de m`y atteler, je ne suis pas encore mûr. J`abandonne au bout de 20 pages tant il m`emmerde, le Marcel. Et pourtant que j`ai connu de Proustiennes et Proustiens frénétiques et enthousiastes qui me conseillaient même de commencer par Albertine disparue, de loin le meilleur, paraît-il... Rien n`y fait. Mais un jour viendra, j`en suis certain.
Sans aucune hésitation, Le Journal d`un manœuvre de Thierry Metz, ainsi que je l`explique au chapitre 19 d`À la ligne.
Pierre Corneille a tout faux au regard de Jean Racine. Et qu`on ne me sorte pas qu`il peint les hommes tels qu`ils devraient être alors que Racine tels qu`ils sont. Corneille est une hérésie littéraire et stylistique.
Je parlais de la Bovary et elle est fatalement dedans, si connue et si parfaite : « (…) comme si la plénitude de l’âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus vides, puisque personne, jamais, ne peut donner l’exacte mesure de ses besoins, ni de ses conceptions, ni de ses douleurs, et que la parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. »
J`ai la chance de lire les services de presse des auteurs avec lesquels je suis invité en rencontres, signatures et débats. Ce sont mes « devoirs » auxquels je m`astreins avec joie. J`ai la chance de lire aussi des livres que m`offrent des libraires suite à nos rencontres. Sinon, je relis mes classiques et mes amis, Jérôme Leroy donc, dans ses magnifiques poèmes Un dernier verre en Atlantide et Sauf dans les chansons (en attendant Nager vers la Norvège à paraître en mars à La Table Ronde), ma chère Jane Sautière chez Verticales et La Société du spectacle de Guy Debord, pour me prémunir en ces périodes d`interview...
Découvrez À la ligne de Joseph Ponthus aux éditions la Table Ronde :
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"Ciel, Amour, Liberté : quel rêve, ô pauvre Folle !