Quand on évoque les dictatures qui ont sévi durant les 60's, 70's jusqu'à la fin des 80's (pour le Chili notamment), l'Europe dont certains pays pourtant ont accueilli des réfugiés (voir l'excellent document de N. Moretti Santiago, Italia 1973 par exemple), a encore un regard, un avis très lointain voire très relatif. Il y a un peu une conception folklorique , une vision de dictature d'opérette sur ce qui s'est passé en Amérique du Sud à cette époque. Après tout, les merveilleuses chansons de
Chico Buarque sont devenues très à la mode en France. Or, le livre de
Carlos Liscano nous rappelle brutalement et durement que les dictatures sud-américaines de ces 3 décennies ont constitué un épisode extrêmement grave pour l'idée de la démocratie, en terme de violation des droits de la Femme et de l'Homme, de terrorisme d'Etat, de doctrine sécuritaire poussée aux pires extrêmes etc...
Le fourgon des fous explique par chapitre, par souvenirs avec une lucidité confondante les réalités de torture, torturé et tortionnaire. C'est dur, c'est sale mais cela a été ainsi. Par moments
Carlos Liscano nous donne des touches de délicatesse comme pour aider le lecteur a trouvé une forme de refuge dans les affres et souffrances qu'on lui décrit, en nous parlant de son enfance, de ses parents, de ses amitiés de détenus. Il n'y a jamais d'héroïsme chez
Carlos Liscano. Certes il n'a pas parlé, il a résisté (peut-être que cette résistance et cette lucidité peuvent interroger, interpeller) mais ce n'est pas de l'héroïsme pour l'auteur. le retour à la vie (car c'est plus qu'un retour à la liberté) est difiicile et pour cause. Comment survivre avec ces stigmates, ce poids ? Mais cette question se pose aussi pour les tortionnaires. Quoique je reste convaincue que très, très peu d'entre eux se sont réellement posés ces questions et supportent le poids d'une quelconque responsabilité, d'une quelconque recherche d'une construction morale. C'est un témoignage court, à lire attention passages brutaux par moments. Cela ne donne pas la clef de ce qui a provoqué ces dictatures et ce qu'elles ont mis en place mais cela éclaire sur ce que le citoyen lambda, intéressé et impliqué dans la vie politique de son pays peut payer TRES cher. Si vous pouvez à lire en espagnol.
Enfin, je ne mettrai que 3 étoiles car en revanche je n'ai que très moyennement apprécié certaines prises de
Carlos Liscano dans les années 2000 au sujet de la France et des dictatures sud-américaines. Il a été clairement établi que certains pays les USA entête ont très largement contribué à ces dictatures. La France n'est pas en reste. Les enquêtes de
Marie-Monique Robin sur le sujet sont claires, précises et confirmées. Mais lorsque
Carlos Liscano demande à ce que la France soit jugée pour cette collaboration car pour lui plus coupable que les propres autorités uruguayennes je ne suis pas d'accord. C'est beaucoup plus facile de revendiquer ce genre d'idées que de se confronter à la demande de justice et de réparation chez soi. Pas que je minimise le rôle de la France mais quand on a si bien décrit le tortionnaire au point d'entrer dans sa psychologie et d'en extraire sa mécanique, ce type de revendications laisse très perplexe.