La particularité de la procédure pénale tenait à une vertu essentielle: connaître les moindres failles pour pouvoir échapper à la justice, en toutes circonstances, ce qui suppose un apprentissage long et fastidieux. Le droit pénal est binaire. Un fait, une peine. L'apprentissage consistait à démonter le mécanisme reposant sur l'analyse des faits ou leur déguisement. Objectivement, Kenza se posait souvent la question. Y avait-il plus savoureux que de jouer avec la vie d'autrui? Le pantin tenu au bout des fils du marionnettiste se dandinait au gré des humeurs des avocats, du procureur et parfois du bras de la justice. Ces pantins n'étaient que des inconnus, finalement. Quels étaient les risques à se tromper? Pouvait-on vraiment perdre son âme à défendre une ordure?
La mère et la fille s’exécutèrent sans broncher, les traits tiraillés par l’angoisse. Julia ordonna à Audrey de s’allonger sous les costumes de Mark. Elle jeta sur elle tout un tas de chemises que, par chance, Marcella n’avait pas encore repassées. La petite tremblait.
Après tout, finir la nuit au poste pour tentative d’effraction lui permettrait de se reposer au chaud. Il ne risquait pas grand-chose et, finalement, il remonterait peut-être dans l’estime des Frères.
Elle avait un décolleté à faire pleurer un âne. Et le type était tellement occupé à lui reluquer les seins qu’il n’a pas réussi à compter correctement les biftons. Résultat, je l’ai entourloupé de deux mille balles. Et je pense qu’il n’a pas apprécié. Voilà, ce n’est pas glorieux, mais bon. Il a dû porter plainte pour avoir mon adresse.
Il y a des paroles qui dépassent parfois nos pensées et qu’on regrette aussitôt.
Le monde à l’envers. Plus moyen de dévaliser tranquillement pépé sans risquer de se faire estourbir.
Kenza prit peur. Elle entendait des mots qu’elle ne comprenait pas vraiment, mais qui n’annonçaient rien de bon. Divorce, prison, procureur, alcool, autorité parentale. Elle se mit à pleurer à grosses larmes épaisses et pensa à David, son copain de classe. Il lui avait raconté que ses parents divorçaient, que son père frappait sa mère. Elle n’avait pas trop bien compris s’il la frappait parce qu’ils divorçaient ou s’ils divorçaient parce qu’il la frappait.
La loi était simple : après un coup de semonce, un tir droit au but exonérait de toutes représailles judiciaires ceux qui auraient fait feu.
Son cerveau s’était mis en mode ébullition. Face à la menace et au probable désastre à venir, valait-il mieux faire un maximum de raffut ? Le visiteur, se sachant découvert, prendrait sûrement la fuite sans demander son reste.
La théorie était séduisante. À un détail près. La plupart des maisons étaient armées dans cet État du Sud. Ceux qui franchissaient les enceintes privées sans autorisation avaient des tendances suicidaires.
Son papa était une personne importante, elle le savait. Les gens l’admiraient, le respectaient ; son poste de procureur l’auréolait d’un éclat particulier qui le distinguait des autres. L’éclat des Héros. Ceux qui se battaient pour les innocents, pour que la société devienne meilleure et que tout le monde se sente en sécurité.
À l’école, c’était super d’avoir un papa héros. On l’enviait et elle chérissait ce sentiment de fierté qu’elle éprouvait quand on lui demandait si son papa avait encore mis un méchant en prison.