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Critique de Erik35


LE PARADOXE DE L'ÉCRIVAIN.

1902.
Le grand écrivain que nous connaissons aujourd'hui est encore un parfait inconnu tant du grand public que de la plupart des critiques de son temps. Il a déjà accompli plusieurs des aventures dont il fera, et fait déjà dans un certain anonymat, son "fonds de commerce" littéraire : le Klondike de la ruée vers l'or, bien entendu, mais aussi ses premières aventures maritimes, que ce soit à bord de son petit voilier dans la baie de San Francisco qu'en tant que mousse sur un navire chassant le phoque au large du détroit de Béring. Il sait, enfin, ce que trimer dur pour un salaire de misère signifie, lui qui fut tour à tour blanchisseur, manoeuvre dans une centrale électrique, ouvrier dans une conserverie de saumon.

À partir de toutes ces expériences, mêlées à une insatiable curiosité, un appétit de lecture phénoménal et un don évident pour raconter des histoires le jeune Jack London déterminera un objectif, posé comme un acte de foi : il sera écrivain et vivra désormais uniquement de sa plume.

Oui... mais. Car il y a bien évidemment un mais ! Comment à la fois vivre de sa plume sans jamais se renier lorsqu'on n'est connu de personne, que l'on vous refuse et réexpédie tous les textes que vous avez d'abord eu la naïveté de penser suffisamment intéressants et bons pour finir entre les pages des innombrables journaux de l'époque. On a beau s'appeler Jack London, avoir une foi à déplacer les montagnes, il faut cependant bien pouvoir vivre, se nourrir, se loger si l'on veut tenir. À toutes ces mésaventures, il répondra plus tard par le magistral Martin Eden, mais ce n'est pas pour tout de suite. En attendant, il écrit, écrit et écrit encore. Et s'il commence à être publié, si cette année-là voient la publication de son premier "vrai" roman, Une Fille des neiges, ainsi qu'un autre, plus bref, La Croisière du Dazzler, ainsi que pas mal de nouvelles, il est encore très loin d'être sorti de son relatif anonymat.

1902.
Ce très court texte plein d'une rage rentrée ne conte pas tout cela, mais il en est directement le fruit aigre. D'une efficacité évidente, le futur auteur de L'Appel sauvage (NB : L'Appel de la forêt) et qui connaîtra enfin la célébrité - à défaut de la fortune, son texte ayant été très mal vendu en terme de droits, par son jeune créateur - avec ce livre l'année suivante explique à quel genre de paradoxe fondamental tout écrivain débutant - il l'appelle «le candidat-artiste» - s'expose. On pourrait résumer les choses ainsi :

Pour vivre de sa plume, il faut être connu. Pour être connu, il faut pouvoir être publié dans des revues à grand tirage. Pour y être publié, il faut écrire des oeuvres alimentaires, de celles qui plaisent facilement et immédiatement aux masses. Pour plaire immédiatement, il faut faire le choix d'une écriture alimentaire. Et cela, le candidat-artiste n'est pas certain de le souhaiter, mais par voit de conséquence, il lui sera, sauf chance inouïe, impossible d'être connu et, de facto, de vivre de sa plume.

La quadrature du cercle.

Comment, dès lors, résoudre ce paradoxe ? Non sans un certain cynisme, un humour empli d'amertume, le californien répond ceci : «Et comment le résout-il ? Ça, cher lecteur, c'est son problème comme le lui disait le rédacteur en chef. Et le vôtre, c'est de lui être reconnaissant d'y parvenir.»

Fermez le ban !

Un lecture trop brève, sans nul doute, mais où l'on retrouve la verve de l'auteur de Croc-blanc, sa plume si efficace à nulle autre pareille. Un toute petite pépite offerte à la lecture par les excellentes éditions du sonneur, toujours à l'affût de ces petits textes oubliés d'auteurs pourtant majeurs.
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