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Citations sur Oeuvres complètes (6)

Ce matin-là je louvoyais dans un quartier d’asile, en compagnie d’un interne.
– Les fous, me disait-il, ne sont pas ce que l’on suppose. Le public les voit mal… Ce ne sont pas toujours des forces déchaînées. Tenez, regardez ceux-ci, réunis dans cette salle.
Ils étaient une dizaine. Ils parlaient un peu haut, mais cela arrive aux personnages les plus sensés.
– Vous pouvez entrer, me dit l’interne.
J’entre. Les têtes étonnées se tournent de mon côté. Je reconnais le médecin-chef au milieu du groupe.
L’interne me saisit par le bras.
– Quoi ?
– Erreur ! fait-il en se mordant la lèvre, ce ne sont pas des fous mais des aliénistes. C’est la Ligue de l’hygiène mentale qui tient séance !
Il avait suffi de l’épaisseur d’un carreau.

(Chez les fous)
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On me conduisit dans les locaux.
D'abord, je fis un pas en arrière. C'est la nouveauté du fait qui me suffoquait. Je n'avais encore jamais vu d'homme en cage par cinquantaine. Nus du torse pour la plupart (car j'ai oublié de dire que s'il ne fait pas tout à fait aussi chaud qu'en enfer, à la Guyane, il y fait plus lourd), torses et bras étaient illustrés. Les "zéphirs", ceux qui proviennent des bat'd'Af', méritaient d'être mis sous vitrine. L'un était tatoué de la tête aux doigts de pieds. Tout le vocabulaire de la canaille malheureuse s'étalait sur ces peaux: "Enfant de misère." "Pas de chance." "Ni Dieu ni maître. "Innocents", cela sur le front. "Vaincu non dompté." Et des inscriptions obscènes à se croire dans une vespasienne. Celui-là, chauve, s'était fait tatouer une perruque avec une impeccable raie au milieu. Chez un autre, c'étaient des lunettes. C'est le premier à qui je trouvai quelque chose à dire ;
- Vous étiez myope ?
- Non ! louftingue.

(Au Bagne)
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[La Chine en folie]

La fusillade roula de nouveau, mais sur notre droite. J’étais tombé dans l’un des flancs de cette affaire. Ce n’était pas une guerre de positions mais de mouvements. Cependant, personne ne bougeait. On comprenait très bien ce qui se passait. Les deux camps se fusillaient, chacun dans l’espérance de voir lâcher pied à l’autre.
- Pékin ? interrogea l’officier.
Je répondis par les gestes parlants avec quoi on signifie qu’il y a ébullition.
Sur ce terrain plat, dans cette guerre de fantassins, un homme accourait à cheval. C’était invraisemblable, mais c’était vrai. Je m’en dressai sur les coudes. Après tout, ces gens-là avaient le droit de se battre à leur manière. Le cavalier passa devant nous au petit trot. Il continua, puis il revint. Bref ! il ne savait pas où il allait. Il se promenait.
Un obus tomba à deux cents mètres. Chacun le salua. Aussitôt on entendit gémir. Et des corps se traînèrent vers l’arrière.
Quand ces soldats défilaient dans les rues de Moukden ou de Tient Sin, ils ne ressemblaient qu’à des pouilleux, mais le feu purifie tout. Morts, blessés, vivants, tous avaient bien l’air de soldats aujourd’hui !
Je restai là deux heures. Tout à coup, un grouillement devant nous. Des troupes refluaient. Celles avec qui j’étais se levèrent et partirent aussi. Tout cela, dans un désordre chinois, se dirigeait ayant perdu l’âme, vers la voie ferrée. Tsang-Tso-Lin cédait le terrain.
Je rétrogradai. La masse vaincue m’entraînait dans son vent. Les champs bourdonnaient d’une rumeur haletante. Je pris le temps, comme à mon insu, de me considérer au sein de cette vague jaune. Cela me parut étonnant. Mais ma pensée redescendit vite. J’étais de la vague et, comme les autres, je n’avais plus qu’à courir m’étendre sur un rivage.
Le gros obliqua dans la direction de Tient Sin. Je marchai sur le train pour retrouver ma voiture. Le Chinois qui, tout à l’heure, cavalcadait, me dépassa au grand galop, allant aussi sur le train.
Le sanitaire était en vue. Pourvu que M. Pou n’ait pas détalé avec l’auto ?
J’approchais. Devant la ligne, un beau gaillard, stick sous le bras, solidement planté et jumelles aux yeux, examinait l’affaire. Soudain, il braqua sur moi. Puis il leva les deux bras et, s’avançant :
- Hello ! How are you ?
- Ward-Price ! Vieille chose ambulante ! lumière du Daily Mail, confrère et frère, que f…-vous là ?
Ward-Price me serra la main et dit :
- Je suis très satisfait de vous revoir.
Nous n’étions pas des amis d’hier. C’étaient des vieux compagnons de boulet qui se retrouvaient. Corbeaux internationaux, nous nous étions maintes fois rencontrés sur les charniers du vaste monde.
L’équipe des reporters au long cours n’est pas nombreuse. Anglais, Italiens, Français, tout cela remplirait à peine deux wagons. Mais ces hommes sans foyer et sans avenir s’aiment confortablement. Quand, à l’appel d’un événement, l’un met le pied sur un bateau, il balaye tout de suite le pont du regard dans l’espoir des camarades.
Cependant, la destinée voulait que parmi tous - et je pense à vous, mes vieilles mouettes qui vous appelez Henri Béraud, Edouard Helsey, René Puaux, Jean Vignaud, et qui t’appelais André Tudesq -, nous fussions, Ward-Price et moi, particulièrement voués à la même catastrophe.
Nous n’arrivions pas toujours ensemble. Non !
Ainsi l’un venait de traverser l’Atlantique et le Pacifique, l’autre, la Méditerranée et l’océan Indien, mais qu’importait ? Une flaque de sang n’allait-elle pas tacher la Chine ? Alors ils se retrouveraient. N’est-ce pas, Anglais de mon cœur ?
Je regardais Ward-Price et ne le reconnaissais pas tout à fait.
- Qu’est-ce qui vous manque ?
- Rien, fit-il, j’ai touché un chèque à Shangai avant-hier.
Ces Anglais ne pensent qu’à la livre sterling !
- Ce n’est pas ce que je veux dire. Il vous manque quelque chose.
Il lui manquait sa machine à écrire.
- No ! fit-il, et, faisant trois pas, il la ramassa sur le ballast.
Ah ! ce sont de curieux citoyens !
- Qu’est-ce que c’est ? demanda Ward-Price en montrant la débandade de l’armée de Tsang-Tso-Lin.
- Ce n’est rien.
- Comment va le télégraphe à Pékin ?
- Il ne va plus.
- Quelle langue parle-t-on ?
- Aucune !
- Pourquoi m’a-t-on détourné par ici (il arrivait de Washington !).
- Pour me dire bonjour.
- Que se passe-t-il ?
- De quoi faire rire pendant deux semaines, chaque matin, vos lecteurs du Daily Mail.
- Je débarque. Racontez-moi. Enfin ! la Chine, qu’est-ce que c’est ?
Je pris le bras de mon vieux compagnon et, tout en marchant le long de la voie de chemin de fer, je commençai :
- La Chine, mon ami...
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Le gardien me dit : « En voici un qui ne pourra pas vous parler, mais il vous montrera sa langue. »

– Montrez votre langue !

L’homme ouvre la bouche. Je ne vois rien. J’avance un œil. Cet homme n’a plus qu’une moitié de langue. Voici comment la chose s’est passée. Il était là, immobile, dans la cour, la langue sortie. Un de ses compagnons, les mains aux poches, à pas lents, s’avança vers lui. Il colla doucement son menton au menton de l’homme, il prit dans sa bouche la langue qui pendait et, d’un coup de mâchoire il la trancha. C’est tout.

Un autre a l’oreille mangée. C’est un camarade également qui lui rendit ce service.

– Et regardez celui-là qui s’use le coude, là-bas !

C’en était un, en effet, qui, sérieusement, et sans précipitation, se servait du mur comme d’une meule pour donner de l’air à son os du coude. C’est sa manie. On pourrait dire : c’est son plaisir.

La peau de son coude était passablement entamée. On lui remettra la camisole.

Les fous résistent à la douleur de façon surhumaine. Ils avalent des cuillers comme nous autres un cachet. L’un de ces messieurs s’était, un jour, procuré une scie. Il s’attaqua sous le sein gauche. Quand le docteur arriva, il put voir, par l’ouverture, battre la pointe du cœur. L’homme se sciait, sourire aux lèvres.

(Chez les fous)
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Je ne suis pas fou, du moins visiblement, mais j’ai désiré voir la vie des fous. Et l’administration française ne fut pas contente. Elle me dit : « Loi de 38, secret professionnel, vous ne verrez pas la vie des fous. » Je suis allé trouver des ministres, les ministres n’ont pas voulu m’aider. Cependant, l’un d’eux eut une idée : « Je ferai quelque chose pour vous, si vous faites quelque chose pour moi : soumettez vos articles à la censure. » Je cours encore.

J’allai voir le préfet de la Seine. C’est un homme fort courtois : « Grâce à moi, me dit-il, vous visiterez les cuisines et le garde-manger. »
J’eus peur qu’il me montrât aussi les tuiles du toit, alors je suis parti.

Je me tournai vers les médecins d’asiles.
Ils me foudroyèrent :
– Croyez-vous, me dit l’un d’eux, que nos malades sont des bêtes curieuses ?
Il m’avait pris pour un dompteur. Il suffisait, lui.

Alors, j’ai cru qu’il serait plus commode d’être fou que journaliste.

(Chez les fous)
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Deux semaines plus tard, dans l'allée des Bambous, à Saint-Laurent-du-Maroni, je rencontrai M. Dupé, directeur par intérim de l'administration pénitentiaire.
- Ah ! vous savez, me dit-il, votre protégé vient d'être condamné à mort par la cour d'assises de Cayenne.
- Qui ?
- Hespel.
- Alors, il n'y a plus de bourreau ; qui l’exécutera ?
- On trouve toujours.
- Et lui, qu'a-t-il dit ?
- Il a dit qu'il n'avait aucune confiance dans son successeur quel qu'il soit, et qu'il demandait, comme dernière faveur, de monter la machine.

(Au Bagne)
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