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EAN : 9782842611774
280 pages
Le Serpent à plumes (12/01/2000)
3.93/5   91 notes
Résumé :
En 1927, Albert Londres embarque pour un périple de quatre mois dans les colonies françaises d'Afrique. Il a déjà écrit quelques articles sur les " petits Blancs " de Dakar, mais s'engage cette fois dans une enquête d'envergure sur les pratiques des colons usagers du " moteur à banane ". Il en rapporte un récit virulent, caustique, dont le lecteur sort tour a tour réjoui et atterré, dénonçant les milliers de morts survenue au nom de l'exploitation des forts et de la... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (15) Voir plus Ajouter une critique
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Le long de son parcours de plusieurs mois au Soudan( l'actuel Mali) puis en Côte d'Ivoire, au Gabon et au Congo, Albert Londres à son arrivée à Dakar ne peut accoster, à cause de la fièvre jaune ; tout le monde prend de la quinine, des mesures sont prises, le confinement dans « une cage » est déclaré, à moins de sortir bottés, « crispins aux gants » et cagoulés. Combien de morts ? La vérité est sous terre, dit Londres, qui nous décrit d'abord le débarquement des colons et leur affectation aléatoire, en plaque tournante.
Ces cages ne servent pas seulement au confinement pour éviter la contagion, il y a des cages, des « boites » partout pour enfermer les quelques travailleurs récalcitrants.
Albert Londres regarde, en journaliste, et décrit un monde surréaliste, où les nègres comme il dit viennent livrer leurs problèmes d'adultère au commandant qui revêt le rôle du juge de paix. Un homme vieux et apparemment riche marié à une jeunesse, le n'amant nu avec juste une ficelle et un peigne en fer dans les cheveux…. Est ce vrai, cet adultère, demande le commandant ? oui, disent la femme et le n'amant, et on est content. le n'amant sera condamné à donner le peigne en fer… et les trois repartent fins copains. Un autre a dû s'absenter 2 ans et il a confié sa femme à son frère….elle a mangé, mais elle n'a pas eu de descendance. Il y a de quoi se plaindre, sûr. Elle ne lui plaisait pas ! le délicat ! Cela lui coutera trois cabris !
Les femmes, dit Londres, valent un peu moins que des vaches, elles s'achètent, s'héritent, se font enlever. Les femmes sont des bêtes de somme, ce sont elles qui portent, qui travaillent et qui encaissent les coups.

Mabanckou et d'autres parlent de brûlot lorsque lorsqu'ils citent le reportage Terre d'ébène qui parut d'abord dans le quotidien le Petit Parisien en 1928, puis une année plus tard sous forme d'ouvrage chez Albin Michel.
Brûlot qui nous brûle à nous en premier, par son regard sur les « nègres « et leur acceptation du pouvoir des Blancs et des chefs.
Les nouveaux « captifs de case »anciens captifs de traite, sont propriété du chef, tout comme les vaches. le chef les abrite, les nourrit, leur donne une femme ou deux, et ils font des petits : « L'esclave ne s'achète plus, il se reproduit. C'est la couveuse à domicile ».
Les africains marchent, « pied-la-route. ».Où vont ils ? Ils marchent, hommes ou femmes, enfants, prisonniers attachés par une corde au cou (et leur gardien marche cinq kilomètres devant !), postiers, plaignants cherchant un papier signé de l'administration, avec tampon. Et, muni du papier, reprenant la route de 300 kilomètres ou plus. Que fera t il de ce papier tamponné ? rien, mais il l'a. La servitude est dans les têtes, l'administration française a mis en place un système surréaliste d'acceptation ancestrale mâtiné de soi disant progrès.

Albert Londres décrit donc cet empire français, qui prélève un impôt sur chaque travailleur au travail forcé, esclaves des temps modernes. le train Océan – Congo doit être construit, pour relier la côte à la capitale Brazzaville, car le fleuve Congo est semé de rapides rendant la navigation impossible. Les belges ont relié déjà la côte à leur capitale Kinshasa, et ils l'ont fait avec des moyens modernes pour l'époque, utilisant les tronçons construits pour acheminer les travailleurs. Côté français, le train Océan –Congo se construit avec des recrutés de force, « le nègre remplaçait la machine, le camion, la grue ; pourquoi pas l'explosif aussi ? »

Entre l'administration coloniale, instituée en 1919, qui protège le nègre mais lui soutire des impôts, et et les colons, hommes d'affaires qui les font travailler sans payer, ô blancs, mes frères ! C'est l'incurie et les mauvais calculs, la décision de ne rien débourser alors que les profits étaient et allaient être certains ( or, coton, bois précieux, café, cacao, caoutchouc, cuivre )qui aboutissent à la mort de milliers de travailleurs, et à la fuite des autres, pour éviter la « machine » mortelle. A la fin du reportage, Londres laisse passer ses sentiments devant ces cadavres ambulants, qui vont mourir dans la forêt. « la désolation de leur état me parut sans nom ». Sans doute 20 000 .

Et il tire la conclusion de son pamphlet persiflant, dérangeant, impertinent, et combien utile, car la France a pris la décision en 1930 d'outiller avec compresseurs, bulldozers et tracteurs, cette construction d'un chemin de fer au lieu d'en rester à un stade moyenâgeux qui lui interdit, au delà des pertes humaines, de développer ses colonies : « Ce n'est pas en cachant ses plaies qu'on les guérit »
« Notre métier n'est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».
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Nous sommes quasi en 1930 et Albert Londres visite l'AOF (Sénégal, Côte d'Ivoire, Burkina, Niger...) et l'AEF (Gabon, Congo...) dont il ramènera encore une fois un témoignage accablant sur la gabegie opérée par les colons, sans jamais pour autant remettre en cause le bienfondé de la colonisation, notez-le, mais plutôt la manière dont elle est faite.
J'ai eu un peu de peine à rentrer dedans. Comme souvent dans les reportages de Londres, il y a des faits concrets observés qui sont maintenant bien bien loin de nos réalités modernes, et même bien loin, je pense, des réalités modernes de l'Afrique, et qu'on a bien de la peine à se figurer.
C'est quand il parle des corvées de portage et de la construction meurtrière du chemin de fer du Congo que la triste réalité de l'époque nous explose en pleine figure. L'humaniste Londres appelle le noir "nègre" comme il est de coutume en ce temps-là, mais jamais il ne le considère autrement que comme un être humain à part entière, tout en constatant que l'abolition de l'esclavage n'est qu'officielle et nullement officieuse... On peut même dire que bien des maîtres d'esclaves prenaient un bien plus grand soin de leurs "objets", car ils les payaient et en connaissaient la valeur.
Je le confesse, quelque chose m'a mis mal à l'aise : j'ai pourtant lu pas mal d'ouvrages sur la colonisation, mais jamais encore je n'avais aussi bien "compris" la condescendance des témoins européens de l'époque vis-à-vis des Africains qu'à la lecture de ce livre.
Comment ne pas comprendre la consternation de Londres devant un homme qui vend sa mère contre une vache ou un mouton ? Comment ne pas comprendre son effroi face à certaines coutumes imposées par les sorciers et griots, comme le fait de sacrifier une vierge au Dieu caïman, ou de tuer les domestiques d'un chef décédé pour les enterrer avec lui ? Certes, des civilisations proto européennes comme les vikings ont fait ce genre de chose au moyen-âge et avant, mais c'est tellement loin des us et coutumes de l'homme européen (en tout cas bourgeois, car il faudrait discuter des conséquences de la misère dans les bas-fonds) de ce début du XXe siècle qu'on ne peut que se dire que si l'on avait été à leur place, on aurait été écoeurés comme eux, et on les aurait obligés à cesser ce genre de choses de la même manière.
Finalement, si c'était à refaire, la vraie nécessité n'était-elle pas de ne pas y aller, tout simplement ? Car pour quelques mères vendues, quelques domestiques exécutés, quelques jeunes filles données au caïman, combien de milliers en avons-nous tués au portage et aux travaux forcés sur les routes et les voies ferrées ?
Encore une fois, même à cent ans d'intervalle, les travaux de Londres se révèlent une vraie mine de réflexion a posteriori.
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Un document intéressant, mais un bon livre ?
J'ai été surpris et déçu par la lecture de ce livre du célèbre journaliste Albert Londres. L'introduction du livre très maladroite donne à penser que le chef d'oeuvre de Gide (Voyage au Congo) n'est rien à côté et on se retrouve à lire un livre qui évoque davantage Tintin au Congo ou Paul Morand...Tout le monde en prend pour son grande pourrait-on dire, les coloniaux prétentieux et pantouflards, mais aussi les chefs africains et, disons-le, les Africains aussi. On y lira des phrases du style, " de tous les nègres, les Ivoiriens sont les moins travailleurs..."....
le livre n'est absolument pas (ou pas seulement, car je n'ignore pas qu'en son temps il choqua) le brillant pamphlet anticolonial auquel l'on pensait s'attaquer, mais autre chose, et je ne sais pas trop quoi. Ce qui est certain c'est que je n'ai pas été convaincu.
La restitution des dialogues avec les Africains fait immanquablement penser à Tintin au Congo et ce n'est pas forcément un compliment. le tout semble rapide, survolé, survolté même (un peu comme un Paul Morand moins réac mais aussi moins talentueux), parfois on se demande si ce n'est pas un peu inventé...
Un document donc pour saisir l'air du temps, une certaine réalité de la colonisation, mais qui, pour moi, n'arrive pas à la cheville du livre de Gide....
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Paru en 1928 après un séjour-circuit de 4 mois dans les pays des colonies françaises en Afrique : AOF Afrique- Occidentale française et AEF Afrique-Equatoriale française, Albert Londres témoigne par sa plume incisive la réalité de l'inhumanité des colons blancs envers la population indigène.
Le captif constitue les compagnies de travailleurs sur les différents chantiers où la force de travail est exclusivement celle de leurs bras : Canal de Sotuba ; chemin de fer du Sénégal, du Soudan, de la Guinée, de la côte d'Ivoire, du Togo, du Dahomey, du Congo. Aucun engin mécanique ne sera utilisé pour ces ouvrages titanesques. Bilan du Congo-Océan environ 20 000 morts. Les coupeurs de bois en Côte-d'Ivoire subissaient un sort identique. Quand leurs mains, leurs bras ou leurs corps n'étaient pas écrasés par les troncs abattus, ils jouissaient du régime de la « chicotte » ou fouet à lanières nouées, pour travailler toujours plus vite. L'administration corrompue saura aussi les excroquer d'un paiement indu d'impôts. Après un mois de travail, toutes charges retenues, souvent le travailleur noir sera débiteur, sans révolte.
Outre la situation misérable qu'impose l'administration coloniale et ses serviteurs à la population autochtone, les coutumes tribales ancestrales sont encore vivaces. La situation de la femme est celle d'une esclave dont les seules valeurs sont celles du travail et de la procréation. Les jeunes filles sont parfois sacrifiées par les féticheurs ou sorciers (comme chez la civilisation Maya, entre autres), au bénéfice d'une année fertile en récolte ! Ou bien à Bamako, chaque année lors d'une grande fête, une jeune fille vierge était donnée à manger au caïman. En le lisant, on a l'impression de régresser au temps de la traite, soit 2 à 3 siècles auparavant, sans qu'aucune évolution sociale ne soit intervenue durant ce laps de temps. Les captifs de traite sont devenus captifs de case, ainsi les maîtres n'ont plus le droit de les vendre, mais les échangent ! L'empereur toucouleur à Ségou, El Hadj Omar, puis Ahmadou son fils, grand rogneur de têtes à qui on envoya Gallieni pour plus de modération, conserva quelque temps celui-ci en tata (prison fortifiée). Son règne de décapitation dura 13 années.
Les chefs tribaux ont tout pouvoir sur leur population ; les chefaillons noirs désignés par les coloniaux sont exécrables avec leurs semblables p44 : « dès que le noir représente l'autorité, il est féroce pour ses frères. Il les frappe, saccage leur case, mange leur mil, ingurgite leur Bangui (vin de palme), exige leurs filles ».

Ce document pamphlet qui dénonce les dérives du système colonial, destiné aux politiques et lecteurs éclairés du continent sous le titre « la traite des noirs », suscitera de nombreuses controverses et polémiques de la part des élus et des ministres. L'auteur se fera de nombreux ennemis, déjà, et peut-être jusqu'à en être victime ?
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Ce qu'on remarque en premier dans le témoignage d'Albert Londres, c'est le ton. Son livre est une dénonciation sans concession de toutes les inepties et les horreurs qu'il a vues lors de son voyage en Afrique. Albert Londres ne prend pas de gants et jette la vérité nue à la face du lecteur car "Ce n'est pas en cachant ses plaies qu'on les guérit." "Flatter son pays n'est pas le servir, et quand ce pays s'appelle la France, ce genre d'encens n'est pas un hommage, c'est une injure."

Il a eu la chance d'écrire avant l'époque du politiquement correct, je me demande ce qu'il aura fait à notre époque où il est de bon ton de s'autocensurer. Son discours dénonce la violence utilisée pour faire travailler les noirs, à la fois parce qu'elle est inhumaine et contreproductive. D'après lui on atteindrait des résultats infiniment meilleurs pour tout le monde en utilisant des machines pour construire les infrastructures qui permettraient de développer la région. "Le moteur à essence doit remplacer le moteur à bananes".

Mais il n'est pas tendre non plus avec les Africains, dont il dénonce le côté autoritaire. "Dès que le noir représente l'autorité, il est féroce pour ses frères" nous dit-il. Il dénonce également l'esclavage auquel les blancs ont officiellement renoncé, mais que les Africains pratiquent encore entre eux, ainsi que le racisme entre les ethnies qui fait que les noirs n'ont jamais pu s'entendre pour résister aux colons. "Le malheur des Saras et des Bandas ne les touchait pas. Eux étaient des Loangos. de race à race le peuple noir se déteste. Un Sara est un chien pour un Loango".

Mais ce livre n'est pas une dénonciation de la colonisation en général, uniquement de la politique coloniale menée en Afrique. Voici ce que dit Albert Londres à ce propos :
"La France a travaillé beaucoup mieux dans ses autres colonies. Nous avons été grands au Maroc et en Indochine. Sur la même terre, sous le même soleil, avec des indigènes qui n'étaient ni pires ni meilleurs que les nôtres, l'Angleterre et la Belgique ont fait oeuvre importante. L'Afrique noire française est dans un état d'infériorité incontestable en face de l'Afrique noire anglaise et de l'Afrique noire des Belges."

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Citations et extraits (39) Voir plus Ajouter une citation
Des noirs des deux sexes travaillaient sur la route. Pliés en deux comme s'ils attendaient le partenaire pour jouer à saute-mouton, ils la tapaient avec une latte. Cette compagnie faisait deux rangées, une d'hommes, une de femmes, les femmes vieilles et laides, la peau ratatinée sur le squelette. Evidemment, elles ne pouvaient plus servir... qu'à la route.
Sur le bord de la chaussée, un orchestre : trois tambourins et un flûtiau. Pour donner la cadence aux cantonniers, les musiciens scandaient un air qui montait et descendait en quatre temps, sur quatre sons, du lever du jour à son coucher. Un chien pacifique en serait devenu enragé !
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D’où sort ce que l’on vend aux pauvres nègres ? Des ciseaux dont les branches ne se touchent pas ; des couteaux qui ne coupent pas ; des miroirs qui ne reflètent pas ; des savons qui ne moussent pas ; des parfums !!!!; des peignes sans dents ; des chandelles sans coton … et l’on pourrait aller jusqu’à dire des flûtes sans trous ! Où sont ces usines sournoises qui travaillent à mal travailler parce que c’est assez bon pour toute une partie de la terre ?
Qui dit Blanc dit, ici, administration. L’administration est le moustique du nègre. A tous les moments de sa vie, elle le pique, troublant son farniente. Lui, qui dormait si bien !
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Les métis ! Les mulots !
Les tout-petits tètent leur négresse de mère.
Le père est là ou n’y est pas. C’est un fonctionnaire, un commerçant, un officier ; c’est un passant. S’il est là, ce ne sera pas pour longtemps. S’il est absent, ce sera sans doute pour toujours. L’enfant grandira dans la case, la maman nègre étant retournée chez les parents. Le reste du village le regardera comme un paria, se demandant pourquoi ce téte-lait mangera plus tard leur mil. Aucune raison sociale n’interviendra dans ce jugement sommaire. La dépréciation sera instinctive, ni blanc ni noir, alors rien du tout ! La maman se remariera avec un Mandingue. Ses petits frères, eux, auront une race, une famille, une patrie : ils seront noirs. Le mulot sera mulot. Il n’aura pas de nom, pas de base, pas de sol à lui où poser ses pieds. Jusqu’au sein qu’il suce qui n’est qu’un cinquante pour cent de lui-même. Il passera sa vie à chercher sa seconde moitié. Quand on les voit, jeunes enfants, ils n’ont pas l’air d’aplomb ; ils penchent tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Ce sont les laissés pour compte d’un tailleur trop pressé. Ceux qui les recueilleront n’oublieront jamais qu’ils n’ont pas été faits sur mesure. Ils flottent.
Ils sont comme ces bateaux-jouets qui voguent dans les bassins municipaux. Dès qu’ils approchent du bord, un bâton les repousse ; quand ils gagnent le centre, un jet d’eau les inonde. Il en coule des quantités. Les survivants demeurent déteints.
Sans nom, ces demi-sang sont les fils des saints de la religion catholique. La République ne les laisse pas dans la brousse. Non ! Quand ils ont sept ans, On les arrache à la calebasse maternelle. On les réunit dans les centres, à l’école des métis. Ils constituent la plus étrange catégorie d’orphelins : les orphelins avec père et mère.
Tant que le papa est en Afrique, il ne les abandonne pas. Passe-t-il près de l’école ? Il va les voir, même quand il est rentré, de son dernier congé, marié avec « Madame Blanc ». . . .
Dès qu’elle a des bébés blancs, le petit mulot repasse la porte. Pauvres mulots ! Les fils de leur mère, qui sont noirs, ne sont pas leurs frères ; les fils de leur père qui sont blancs ne sont pas leurs frères. C’est peut-être pour cela, parce qu’ils ont tant cherché à comprendre, qu’ils ont tous de si grands yeux ? …
… Joseph est heureux, il ne sait pas encore qu’il y a des bateaux qui ramènent les papas blancs en France !

Le métis est profondément malheureux.
L’école en fait moralement des Français, la loi les maintient au rang de l’indigène. La loi leur interdit de porter le nom de leur père. À vingt ans, la loi les verse dans l’armée noire. Un nègre, parce qu’il est né à Dakar, à Rufisque, à Saint-Louis ou à Gorée, est citoyen français. Le fils du général X…, du gouverneur, de l’administrateur en chef, de l’ingénieur, lui, est nègre ! S’il commet une faute, il sera jugé comme un nègre. Quand il obtiendra une place, il sera payé comme un nègre. Neuf francs par jour d’indemnité au fonctionnaire électeur noir, deux francs cinquante pour le métis. Cent francs par enfant pour l’autre, dix francs pour lui ! Frappe-t-il à la porte de l’administration ? Il est reçu comme un nègre. Si c’est un nègre de Dakar qui tient le porte-plume, il est chassé comme un chien. Henri qui avait de l’esprit m’a dit : « On devrait être fait tout en fesses, ainsi nous aurions plus de place pour recevoir les coups de pied ! » Le dernier des gnafrons des quatre communes envoie un député devant la Seine ; le métis reste dans le Niger. Ils ne sont ni blancs ni noirs, ni Français ni Africains, ni frisés ni plats. Le malheur est qu’ils soient tout de même quelque chose.
— Si l’on n’était rien, m’a dit Robert, on ne souffrirait pas. Et pourtant, regardez !
Robert m’avait entraîné chez lui, un propre Petit logis de Mopti. Robert ouvrait le buffet, tirait les tiroirs. Je croyais qu’il allait mettre le couvert et m’offrir à dîner.
— Regardez ! On mange dans des assiettes ; on se sert de couteaux, de fourchettes, de cuillers ! On boit dans des verres !
— Et cette photo, lui dis-je, lui montrant au mur un général découpé dans un illustré.
— C’est papa !
On les a abandonnés. Là-dessus ils ne disent rien. La chose leur semble naturelle. Ils conçoivent obscurément qu’ils ne sont pas des enfants, mais des accidents, et qu’un accident est toujours malheureux. Toutefois on les a envoyés dans des écoles. Ils ont récité qu’ils étaient fils de Gaulois. On leur a fait porter des souliers, des chemises et des pantalons. Eux-mêmes ont ajouté les lunettes. Il fallait se garder de leur apprendre à lire si l’on ne voulait pas qu’ils vissent le nom de leur père sur les journaux !
Ils ne réclament pas la recherche de la paternité. Un vif sentiment de leur situation les anime. Ils savent qu’ils ne sont qu’un péché originel et en accusent Adam plutôt que sa lignée. Cependant ils ont l’idée de se racheter. Connaissant le respect que l’on doit au vrai blanc ils ne revendiquent pas d’être fils de leur père. Ce n’est pas le nom du blanc qu’ils convoitent, loin d’eux cette audace, c’est sa nationalité. Non fils d’un tel, mais fils de Français ! Ainsi ratifient-ils eux-mêmes leur anonymat.
André, Henri, Jacques, Robert, autant que l’on voudra, mais citoyens français !
C’est leur rêve !
— Surtout, disent-ils, que nous sommes les fils de ceux qui ont fait la conquête. C’était dur en ce moment, nos papas ne pouvaient amener leur dame !
Assez de tragique !
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D'autre part je demeure convaincu qu'un journaliste n'est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de roses. Notre métier n'est pas de faire plaisir, non plus de faire tort, il est de porter la plume dans la plaie.
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Voici mille nègres en file indienne, barda sur la tête, qui s'en vont à la machine! au chemin de fer de la Côte-d'Ivoire, à Tafiré. Sept cents kilomètres. Les vivres? On les trouvera en route, s'il plaît à Dieu! La caravane mettra un mois pour atteindre le chantier. Comme le pas des esclaves est docile! Des hommes resteront sur le chemin, la soudure sera vite faite; on resserrera la file.
On pourrait les transporter en camion; on gagnerait vingt jours, sûrement vingt vies. Acheter des camions? User des pneus? Brûler de l'essence? La caisse de réserve maigrirait! Le nègre est toujours assez gras!
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