Dans ce pays, eux et moi sommes des étrangers. Notre présence est indésirable. Moi parce que je fais partie des perdants. Eux parce qu'ils sont trop riches. Nous n'appartenons pas à cette masse intermédiaire qu'on appelle la normalité, la somme de toutes les insignifiances.
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Le nuage est sombre mais ce qui en tombe est de l'eau pure.
- Ils te paient bien ?
- Cinquante piastres par semaine.
- Moi aussi. A ce prix là, on ne pose pas de question. Et on oublie les sales rumeurs sur cet endroit.
- Quelles rumeurs ?
- Tu les connais pas ? Les maîtres sont des monstres. Ils ont cloîtré leur fille. Elle souffre d'une maladie bizarre. La lumière du jour peut la tuer.
- Tu crois à ces histoires ?
- Je ne sais pas. En tout cas, personne veut travailler ici. Sauf les rebuts, comme nous. Dès que j'aurai amassé assez d'argent, je me tire d'ici. Et toi ?
- Pareil.
- Il paraît qu'elle est très belle. Ceux qui l'ont vue en sont devenus fous.
Ne sois pas triste. Il y aura d'autres amours. La vie est longue. Moi, je disparaîtrai sans rien connaître. L'amour n'aura été qu'un rêve.