Citations sur Les Désenchantées (42)
"Les désenchantées" répéta Djénane avec lenteur. On est désenchantées de la vie quand on l'a vécue; mais nous, au contraire, qui ne demandions qu'à vivre!... Ce n'est pas désenchantées que nous sommes, c'est annihilées, séquestrées, étouffées...
Prenez au hasard vingt femmes turques (femmes du monde, s’entend); vous n’en trouverez pas une qui ne parle ainsi!…
Élevées en enfants prodigues, en bas bleus, en poupées à musique, objet de luxe et de vanité pour notre père ou notre maître, et puis traitées en odalisques et en esclaves, comme nos aïeules d’il y a cent ans!… Non, nous n’en pouvons plus ! Nous ne pouvons plus !…
Un soleil d'avril, du même avril, mais de la semaine suivante, arrivant tamisé de stores et de mousselines, dans la chambre d'une jeune fille endormie. Un soleil de matin, important, même à travers des rideaux, des persiennes, des grillages, cette joie éphémère et cette tromperie éternelle des renouveaux terrestres, à quoi se laissent toujours prendre, depuis le commencement du monde, les âmes compliquées ou simples des créatures, âmes des hommes, âmes des bêtes, petites âmes des oiseaux chanteurs…
Elle s'assit, ôta ses ballerines qui serraient trop, soupira d'aise, bâilla. Ouf, bon débarras, dit-elle.
Elle se leva, fît des grimaces pour se décontracter, déambula. Exquis de marcher sans chaussures, rien qu'avec les pieds bien à plat, exquis de remuer ses orteils en éventail.
Elles semblaient presque gaies aujourd'hui, les trois petites âmes sans figure, gaies parce qu'elles étaient jeunes, parce qu'elles avaient réussi à s'échapper pour une heure.
Elles causaient, assises sur des tombes très anciennes, les pieds nus dans une herbe fine, semée de fleurettes délicates.
_ Nos amies nous ont annoncé , dit l une, que vous alliez écrire un livre en faveur des musulmanes du XX ème siècle, et nous avons voulu vous en remercie.
_ Comment cela s appellera t il ? Demanda l autre, en s asseyant avec une grâce languissante sur l humble divan décoloré.
_ Mon Dieu je n y ai pas songé encore. C est un projet si récent, et pour lequel on m a un peu forcé la main, je l avoue....Nous allons mettre le titre au concours, si vous voulez bien....Voyons! Moi, je proposerais les Désenchantées.
_ " Les desenchantees " , repeta Rhénane avec lenteur. On est désenchanté de la vie quand on a vécu ; mais nous au contraire qui ne demanderons qu' à vivre !
....Ce n est pas désenchantées, que nous sommes, c est annihilé séquestrés, étouffées....
Oh! la minute atroce, celle où l'on passe de l'affection la plus tendre à de la haine pure.
Oh! qui nous dira le pourquoi, la raison supérieure de ces rencontres, où les âmes s'effleurent à peine et que pourtant elles n'oublient plus.
Je m’obstine à voir Stamboul comme il n’est plus, se dit-il ; il s’écroule, il est fini. Maintenant il faut faire une complaisante et continuelle sélection de ce qu’on y regarde, des coins que l’on y fréquente ; sur la hauteur, les mosquées tiennent encore, mais tous les bas quartiers sont déjà minés par le « progrès », qui arrive grand train avec sa misère, son alcool, sa désespérance et ses explosifs. Le mauvais souffle d’Occident a passé aussi sur la ville des Khalifes ; la voici « désenchantée » dans le même sens que le seront bientôt toutes les femmes de ses harems…
– Nos amies nous ont annoncé, dit l’une, que vous alliez écrire un livre en faveur de la musulmane du XXe siècle, et nous avons voulu vous en remercier.
– Comment cela s’appellera-t-il ? demanda l’autre, en s’asseyant avec une grâce languissante sur l’humble divan décoloré.
– Mon Dieu, je n’y ai pas songé encore. C’est un projet si récent, et pour lequel on m’a un peu forcé la main, je l’avoue… Nous allons mettre le titre au concours, si vous voulez bien… Voyons !… Moi, je proposerais : Les Désenchantées.
– « Les Désenchantées », répéta Djénane avec lenteur. On est désenchanté de la vie quand on a vécu ; mais nous au contraire qui ne demanderions qu’à vivre !… Ce n’est pas désenchantées, que nous sommes, c’est annihilées, séquestrées, étouffées [...]
– Voici comment je l’entendais. Rappelez-vous les belles légendes du vieux temps, la Walkyrie qui dormait dans son burg souterrain ; la princesse-au-bois-dormant, qui dormait dans son château au milieu de la forêt. Mais, hélas ! on brisa l’enchantement et elles s’éveillèrent. Eh bien ! vous, les musulmanes, vous dormiez depuis des siècles d’un si tranquille sommeil, gardées par les traditions et les dogmes !… Mais soudain le mauvais enchanteur qui est le souffle d’Occident, a passé sur vous et rompu le charme, et toutes en même temps vous vous éveillez ; vous vous éveillez au mal de vivre, à la souffrance de savoir…