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Citations sur Suprêmes visions d'Orient (12)

Pauvre Andrinople [Edirne, 1913] que j'ai vue en fête, toute pavoisée, toute illuminée le soir en l'honneur du ramazan, — peut-être de son dernier ramazan ! Derrière cette joie du peuple dans les rues persistait le souvenir des atrocités de la veille.Dans les quartiers turcs, on m'a montré partout des mosquées démolies, des portes, des fenêtres défoncées par les pilleurs ou les satyres. On m'a fait visiter l'île d'angoisse, cette île du fleuve où quatre à cinq mille prisonniers de guerre turcs furent entassés pour y mourir de faim. Là j'ai vu les arbres jusqu'à hauteur d'homme dénudés et blancs, dépouillés de leur écorce que les affamés dévoraient. On sait qu'au bout de quinze jours de cette torture les Bulgares vinrent égorger ceux qui s'obstinaient à vivre.

Si je n'avais recueilli que des témoignages turcs, je risquerais d'être taxé d'exagération. Mais les plus accablants, ce sont les Grecs et les Juifs qui me les ont fournis. Le métropolite grec, que je suis allé visiter dans son vieux palais épiscopal, m'a conté en m'autorisant à l'écrire comment lui parla le général bulgare qui l'avait mandé brutalement : « — Est-ce que vous aimez les Turcs, vous ? — Oui, parce que durant quatre siècles ils nous ont permis de vivre heureux. — C'est bon, je vais vous faire exécuter. — Alors tuez-moi tout de suite. — Non, un peu plus tard, quand ça me plaira. Sortez. » Et, dans une salle voisine, les aides de camp parlaient de même à tous les notables grecs convoqués. Mais l'arrivée foudroyante des Turcs les sauva tous.

C'est pendant un iftar, dîner de Ramazan, offert par le vali dans son palais dévasté, que j'ai pu juger surtout de l'entente fraternelle entre les musulmans et les autres communautés religieuses d'Andrinople. Parmi des généraux, des officiers de tout grade, le grand rabbin des juifs était attablé entre deux hodjas à turban ; ailleurs, le métropolite grec causait en souriant avec son voisin de gauche, le chef des derviches. Hélas ! sur cette joie de la délivrance qui les unissait tous, pesait l'angoisse des lendemains. L'Europe, l'Europe, que ferait-elle ? qu'exigerait-elle ? On avait confiance pourtant, confiance en les cœurs français, en les cœurs anglais, et peut-être, malgré tout, en les cœurs russes. (pp. 211-213)
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Sur la place de la mosquée de Soliman le Magnifique, le vieux petit bazar est demeuré pareil. Chacun dans son échoppe ouverte, les patients enlumineurs, le pinceau à la main, sont accroupis au milieu de leurs petites fioles de dorure et d'argenture. Presque tous paraissent âgés, hommes d'une autre époque, pourrait-on dire. De leurs doigts maigres, agiles et précis, ils tracent, sur des cartons, d'impeccables caractères, en penchant au-dessus de leur ouvrage leur tète enturbannée. Ils excellent à composer, avec des passages du Coran, des dessins presque symétriques, imitant quelquefois des urnes, ou môme des gerbes de rigides fleurs.

La calligraphie était jadis un des arts les plus en honneur dans ce pays où l'on avait le temps et la patience ; les sultans eux-mêmes s'y adonnaient et ne dédaignaient point d'écrire, pour les mosquées, des Corans précieux, de même que jadis les empereurs de Byzance enluminaient des Évangiles. Les caractères arabes (adoptés, comme on sait, par les Turcs en même temps que la religion du Prophète) sont du reste étrangement décoratifs ; sur les faïences, sur les marbres, sur les parchemins, ils se prêtent à des enroulements qui s'harmonisent avec les arabesques et qui, toujours, y ajoutent l'indicible mystère de l'Islam.

Je fais choix de belles inscriptions, — mais parmi celles qui sont déjà tout encadrées, toutes prêtes, car on pense bien que je n'ai pas le temps d'attendre pour les poser chez moi : la vie est trop courte, et la saison finira trop vite. Elles sont en lettres d'or sur fond noir, et disent des prières de résignation et de confiance. Un portefaix les charge sur son dos et nous rentrons au logis, après avoir acheté en route un marteau et des clous pour, tout de suite, les accrocher aux murailles. Dans ma chambre, à la tête du matelas, recouvert d'un tapis de Perse, où je dormirai, je suspends celle-ci : « Allah ! je me confierai en Ta miséricorde au jour des châtiments. » (pp. 91-93)
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