Monde où l'imperfection n'existe pas
- Mais je les veux ! dit Jonas avec colère. Ce n'est pas juste que rien n'ait de couleur !
- Pas juste ?
Le Passeur regarda Jonas avec curiosité.
- Explique moi ce que tu veux dire.
- Eh bien... Si tout est pareil, on n'a plus de choix. Je veux pouvoir me lever le matin et faire des choix. Une tunique bleue ou une tunique rouge ?
Il baissa les yeux sur le tissu terne de son habit.
- Mais c'est toujours la même chose.
Puis il rit doucement.
- Je sais que ça n'a pas d'importance, ce que l'on porte. Cela ne compte pas. Mais...
- C'est le fait de choisir qui compte, n'est-ce pas ? lui demanda le Passeur.
Jonas acquiesça.
- Je m'en occupe, Monsieur. Je m'en occupe, Monsieur, contrefit Jonas d'un ton cruel et sarcastique. Je ferai ce que vous voudrez, Monsieur. Je tuerai des gens, Monsieur. Des personnes âgées ? Des petits nourrissons ? Je serai ravi de les tuer, Monsieur. Merci de vos instructions, Monsieur. Comment puis-je vous aid...
Il ne pouvait pas s'arrêter.
Jonas fronça les sourcils.
- J'aimerais bien qu'on ait encore ces choses- là. Juste de temps en temps.
Le vieil homme sourit.
- Moi aussi, dit-il. Mais ce choix ne dépend pas de nous.
- Mais Monsieur, suggéra Jonas, puisque vous avez tant de pouvoir...
L'homme le reprit.
- De prestige, dit-il fermement. J'ai beaucoup de prestige. Et toi aussi tu en auras. Mais tu apprendras que ce n'est pas la même chose que du pouvoir.
Pour tous les enfants, à qui nous confions l'avenir.
"[...] il y a tant de choses que je pourrais leur dire, des choses que j'aimerais les voir changer ! Leur vie est tellement ordonnée, tellement prévisible, sans douleur. C'est ce qu'ils ont choisi."
Jonas parvint de l'autre côté de la rivière, s'arrêta un instant il se retourna. La communauté où il avait passé l'intégralité de sa vie était maintenant derrière lui, endormi. À l'aube la vie ordonnée et discipliné qu'il avait toujours connu continuerai sans lui. La vie où il ne se passerait jamais rien d'inattendu. Ni de opportun. Ni d'inhabituel.
La vie sans couleurs, sans douleurs, sans passé.
Même quand on avait été formé pendant des années, comme ils l’étaient tous, à la précision du langage, quels mots pouvait-on utiliser pour transmettre à quelqu’un d’autre l’expérience du soleil ?
- J'ai bien aimé l'amour.
Il jeta nerveusement un coup d'oeil au haut-parleur pour vérifier que personne n'écoutait.
- J'aimerais bien qu'on l'ai encore, murmura-t-il. Bien-sûr, ajouta-t-il rapidement, je comprends que cela ne marcherait pas très bien. Et qu'il vaut mieux être organisé comme nous le sommes maintenant. je vois bien que c'était dangereux comme façon de vivre.
Jonas commençait à avoir peur. Non ce n’est pas le bon mot, pensa Jonas. La peur, c’était ce sentiment de nausée profonde quand on pressentait que quelque chose de terrible allait arriver.