La Déchirure de l'eau est le premier roman de l'acteur Irlandais John Lynch. Ce livre m'a séduite. Décidément, j'aime la rentrée littéraire 2015 !
James Lavery a dix-sept ans. « Eclair scintillant d'un coup de couteau dans un ciel d'hiver, ses yeux bleus s'abreuvent au monde en longues gorgées méfiantes ». Il vit en Irlande du Nord, non loin de la frontière. C'est une époque où l'IRA est encore active, la vie quotidienne est ponctuée de contrôles d'identité, de bombes explosant dans les cafés et le long des trottoirs, les gens meurent au hasard, déchiquetés, la police débarque au saut du lit dans les maisons des catholiques, pour fouiller avec violence.
On découvre la vie de James par épisodes. La mère boit, et c'est souvent moche, en plus de la ronde des hommes qui passent et celui qui revient et puis qui s'installe, Sully, que l'adolescent déteste. James sèche les cours, il oscille entre repli sur soi et violence, hargne et incompréhension. Il se cherche ; et ne semble pas vraiment certain de vouloir se trouver.
La vie de James s'est construite autour de la mort de son père. Une mort brusque, une disparition, il avait huit ans. « Mort pour l'Irlande » lui dit-on. Mais « chut… ». Il est des absences tellement envahissantes qu'elles sont comme un lierre qui malmène et étouffe l'arbrisseau en devenir. Alors pour exister autour de ce silence hanté, James s'invente un monde imaginaire. Chaque chapitre, assez court, se termine par quelques paragraphes en italique, qui sont des scénarios de mort, des rêves, des histoires : « Parfois, j'interprète différentes morts pour mes copains. La plupart du temps, pourtant, je me contente de les penser. ». Une manière pour
James d'exorciser les coups du sort, d'enjoliver le quotidien, de régler ses comptes. Souvent, ces passages sont un vrai régal. Poignants, émouvants, cocasses, jubilatoires, toujours surprenants, ils ont un souffle épatant. John Lynch a une plume aiguisée, un sacré talent, et la traduction est une réussite.
Ce monde imaginaire, cependant, on se demande par moments si James n'est pas en train de basculer carrément dedans. Car dans la vie du garçon, il y a comme un soupçon de fantastique, un frémissement de folie… Lorsqu'il plonge dans le théâtre et enfin existe, comme certains sortiraient la tête hors de l'eau pour respirer, je n'ai pas été surprise que ce soit en jouant « Vol au-dessus d'un nid de coucou » : atmosphère, atmosphère !
John Lynch nous promène également à la frontière de territoires assombris par les pires recoins de l'âme humaine ; des passages glauques, presque malsains… mais « presque » seulement, car toujours le récit glisse à nouveau vers la lumière. Il règle aussi ses comptes avec l'IRA, évoque les accointances patriotiques avec les nazis durant la seconde guerre mondiale, et ces jeux d'écoliers dans lesquels, encore longtemps après, les gentils étaient les allemands, parce que les méchants, c'étaient les anglais…
J'ai trouvé un indéniable parfum de Peter Pan à cette oeuvre. James oscillerait entre le Peter de John Barrie et celui de la bande dessinée de Loisel… Mais James, lui, va vouloir et réussir à embrasser l'âge adulte. Car la fin du livre est un bouquet final en forme de commencement, où les révélations du passé se combinent aux émotions d'un éveil à l'amour, pour briser toutes les chaines.
La déchirure de l'eau est une lecture belle, différente, exigeante, un livre que j'ai refermé avec une sorte d'éblouissement dans le coeur, oui, carrément. Un ton juste et sensible, une manière d'équilibriste dans la plume, un cri d'appel à la vie. Bravo… et merci !
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