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Critique de karmax211


C'est après avoir lu il y a quelques semaines - Quand tu écouteras cette chanson - de Lola Lafon et réalisé que je ne pouvais pas honnêtement parler de ce livre sans avoir relu au préalable - le journal d'Anne Frank -, dont trop d'éléments s'étaient égarés dans le labyrinthe du temps, qu'ayant décidé de me plonger dans la version en BD de Riff Reb's du livre de Pierre Mac Orlan - À bord de L'Étoile Matutine -, je me suis prémuni de cette sensation d'incomplétude en relisant le roman d'aventures maritimes de celui qui est né à Péronne...un signe ? ( Péronne étant le patronyme dont m'a fait cadeau mon défunt père...).
L'expérience s'est révélée convaincante, car après m'être replongé dans le roman, j'ai mille fois plus apprécié la version BD, ce qui n'aurait pas été le cas sans cette concomitance voulue.

" C'est Mac Graw, le chirurgien de L'Étoile Matutine qui m'apprit l'art de conter mes souvenirs. Maintenant que je le sais pendu au quai des Exécutions, à Londres, je rends hommage à sa clairvoyante amitié.
Mac Graw disait : “Cherche en toi-même l'absolution de tes crimes et la rédemption de tes péchés.”
C'est en écrivant sincèrement ce que l'on pense de sa propre vie que l'on obtient le pardon. En racontant mes aventures, maintenant qu'elles sont écrites et formulées définitivement sur le papier, je pense avoir débarrassé mon âme de tout ce qui pouvait m'inquiéter. Mes crimes et mes fautes, ceux et celles de mes pauvres camarades, les gentilshommes de fortune, sont ici déposés dans ce petit livre fermé comme un coffre dont chacun possède la clef. "

Ainsi débute ce roman d'aventures maritimes que Pierre Mac Orlan a écrit en plusieurs fois.
D'abord édité en 1920, le récit sera revu et revisité pendant trente-cinq ans.
L'ouvrage sera complété par cinq nouveaux chapitres en 1927, puis quatre autres en 1934 etc jusqu'à l'écriture d'un épilogue datant de 1955 et resté à l'état de brouillon.

Au XVIIIe siècle à Londres, un vieil homme écrit ses "mémoires".
Désormais "retiré des affaires", il se souvient... de son enfance miséreuse et sauvage en Bretagne.
" Quand j'étais enfant, je couchais dans les carrières, auprès d'un petit village, au bord de la Côte. le nom de ce village n'est plus dans ma mémoire. Je n'avais ni père ni mère ; je vivais avec de vieux hommes obscènes et je me nourrissais au hasard, quelquefois au prix d'infâmes complaisances."

Enfant sauvage, livré à lui-même, n'ayant aucune notion du bien et du mal, essayant de répondre aux injections de la nature, pratiquant avec ces " vieux inconnus " l'anthropophagie lorsque la faim tenaille et que le manque commande :
" Ils dévoraient ce qu'ils avaient pu récolter. Un jour, un vieillard tomba dans un piège à loups et je crois bien qu'on le mangea. En dehors de cet homme mort, encore ne puis-je certifier, nous ne mangeâmes plus de chair humaine. Nous mangions tout ce qui remuait autour de nous : des mulots, des rats, des lézards, des grenouilles, et des insectes aussi. Nous mangions également des racines, puis certains jours du pain dur que l'on mettait dans de l'eau bouillante où l'on avait fait cuire un corbeau dépouillé de sa peau, qui est amère.
À douze ans, j'avais mangé de tout ce que les hommes n'avaient jamais mangé, mais j'ignorais la nourriture des autres hommes."

Vers l'âge de quatorze ans, alors qu'il chasse avec sa fronde des corneilles, il aperçoit une jeune fille...qui fait mine de ne pas le voir.
Il va alors la guetter chaque jour.
Sa patience et son obstination vont payer :
" le jour suivant, elle marcha vers moi délibérément. Elle portait de la soupe dans une petite terrine surmontée d'un couvercle. Je me jetai sur la nourriture que je fis disparaître en claquant la langue comme un chien.
Chaque jour, ma nouvelle amie passait devant le bois. Elle m'apportait tantôt de la soupe, tantôt du pain et du lard, des noix et du fromage dur recouvert de foin."

Les conversations des vieillards " vont troubler son imagination en lui donnant un but précis "... et à bientôt quinze ans, il veut savoir ce qu'est une femme.
La fille ne se laisse pas faire.
Fou de colère, il l'étrangle.
" Alors, relevant ses jupes, je pus satisfaire ma curiosité. Je vis pour la première fois comment une femme était faite. La fille était jeune et grasse, mais rien ne m'expliqua le mystère de cette différence merveilleuse entre elle et moi.
" Maintenant je n'aurai plus de soupe", pensai-je."

De retour aux carrières, il raconte avec le naturel des " innocents ", ce qu'il a fait.
Les vieillards effrayés par les conséquences de son geste hésitent entre le dénoncer à la maréchaussée ou s'en débarrasser...
Il s'enfuit.
Ce n'est que longtemps après qu'il prendra conscience de la signification et du poids de son acte.
" C'es-à-dire qu'à cette époque j'eus la révélation d'avoir commis un crime."

C'est à Brest qu'il va trouver refuge dans un cabaret où il va servir d'aide aux servantes.
C'est dans ce cabaret qu'il va faire la connaissance de Muguet et Pelisson, deux " gentilshommes de fortune ", avec lesquels il va embarquer sur le schooner baptisé " L'Étoile Matutine ".
C'est sur ce navire commandé par George Merry, qu'il va bénéficier de la tutelle de Mac Graw, un chirurgien lettré, du compagnonnage de Marceau, de Pitty, de Rousseau et de beaucoup d'autres encore...

Sa véritable vie commence, vous pouvez embarquer pour suivre à travers une succession de tableaux les aventures maritimes de ces gentilshommes de fortune dont Mac Orlan dit qu'ils étaient " des assassins qui ne respectaient aucune autorité régulière. Cruels et naïfs, ils étaient superstitieux et ne juraient que sur la Bible."

Dans une atmosphère sombre, désenchantée, violente, cruelle, pessimiste mais exotique, libérée de bien des entraves, sensuelle, superstitieuse autant que religieusement dévoyée et blasphématoire, Mac Orlan dans une écriture où se mêlent argot, vocabulaire maritime et syntaxe empreinte de poésie, nous fait vivre en quelques tableaux dans lesquels se croisent des noms et figures illustres de pirates, flibustiers, boucaniers tels Gow, Long John Silver, Flint, Mary Read... l'univers de ceux que Francis Lacassin appelle " la pègre exotique ".

Si la structure narrative ne tient qu'à un fil ténu, c'est vraisemblablement imputable à la rédaction séquentielle du roman.
Et si l'on n'y trouve pas forcément les standards du genre : tempêtes, abordages, mutineries, chasse au trésor, ils y sont esquissés et en partie évoquer, ne serait-ce que pour le dernier.
C'est brut, c'est sans espoir mais on vit l'instant. Il y a du rhum, énormément de rhum, des filles, on y danse la gavotte avec des ponisses...avant de tomber ivre mort...
Le contexte historique est très bien reconstitué, le vocabulaire et les dialogues nous restituent une contemporanéité sans fausses notes.

J'ai beaucoup aimé ce roman et chacun de ses tableaux. Avec une préférence pour celui mettant en scène Meister, l'aveugle et ses deux concubines que sont Babet Grigny et Mijke, la Hollandaise. Celui avec toujours Meister opposé à Cadet Golo sur une île déserte. Et puis les deux tableaux impliquant un marin et deux naufrageurs, le père et le fils, aux prises avec le vaisseau fantôme " le Hollandais volant "...

De jolies retrouvailles qui m'ont permis de me délecter de la version BD de Riff Reb's dont j'essaierai de vous parler prochainement.












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