J’aurais aimé qu’elle cesse, parce qu’elle me plaisait bien. Je finis mon verre. Elle m’apporta un deuxième tonic avec la rapidité et l’efficacité d’une serveuse de cocktails. Je n’arrivais pas à me départir de la vilaine sensation que nous étions tous les deux là pour utiliser l’autre.
Il faut savoir se détendre, de temps en temps, sinon, vous allez vous flétrir, à travailler sans cesse. Vous ne voulez pas être flétri, et vous ne voulez pas non plus me faire me sentir rejetée. Et puis, il y a des choses dont nous devons parler.
“La fleur que nous nommons la rose sentirait tout aussi bon sous un autre nom”, vous savez.
Je sais reconnaître la vérité quand je l’entends. Je vous conseille de retourner voir ce mari, où qu’il soit, et de lui dire que vous n’avez pas réussi à la trouver. Elle sera plus en sécurité et plus heureuse si vous faites ça.
Sa voix jeune était étonnamment ferme, presque brutale. Il y avait quelque chose dans ses yeux qui ne me plaisait pas. Ils étaient grands, secs et fixes. C’étaient des yeux qui avaient oublié comment on pleure.
Je n’ai jamais trouvé le cran de lui quémander le privilège de porter ses livres. Mais je commençais à identifier Dolly à cette fille inaccessible dont je ne me souvenais même plus du nom.
Elle marcha d’un pas vif sur la grande allée qui coupait le campus en deux, puis entreprit de gravir les marches qui menaient à la bibliothèque. Je la rattrapai.
Il semblait moins s’intéresser à elle qu’elle ne s’intéressait à lui. Il était séduisant, avec ce genre de beauté douce et mélancolique qui excite les instincts maternels des femmes. Malgré ses cheveux bruns ondulés qui grisonnaient aux tempes, il ressemblait beaucoup à un étudiant qui aurait levé les yeux de ses livres vingt ans après avoir eu son diplôme et se serait retrouvé quadragénaire.
J’étais frappé par sa beauté sourdement solennelle, ses yeux sombres aveuglés par un trop-plein de pensée. Elle tourna une fois de plus les talons et alla vers son destin d’un pas lent.
Ses yeux fins m’avaient hypnotisé. J’y avais plongé les miens, et c’était comme regarder le cœur splendide d’un iceberg, tout de glace verte et de lumière froide et aveuglante.
La femme qui s’y trouvait était du genre sans âge qui semble vieille à vingt-cinq ans et jeune à quarante-cinq. Elle portait ses cheveux coiffés en un chignon strict sur le haut de sa nuque. Sa seule concession à la coquetterie était un fin trait de rose soulignant sa bouche raide.
Malgré cela, c’était une jolie femme. Son visage était finement ciselé. Le devant de son chemisier bombait au-dessus de son bureau comme un spinnaker plein vent arrière.