«
Trouver une victime », publié 1954, fait partie de la série consacrée aux enquêtes menées par Lew Archer. Son auteur,
Ross Macdonald, est sans doute le romancier le plus méconnu du « triangle d'or » du roman noir qu'il forme avec
Dashiell Hammett et
Raymond Chandler. Si les années cinquante nous apparaissent rétrospectivement comme une forme de jardin d'Eden oublié, ses romans nous rappellent que la cupidité, la duplicité, et la folie ne sont pas l'apanage exclusif de notre époque.
Le charme de la série doit énormément à son héros Lew Archer. Après une jeunesse tumultueuse, ce dernier s'engage dans l'armée pendant la seconde guerre mondiale, puis rejoint les rangs de la police qu'il quittera écoeuré par la corruption qui y règne. Divorcé et beau garçon, le héros de
Ross Macdonald se lance comme détective privé dans la Cité des Anges. Son ironie acide, le regard désabusé parfois teinté de mélancolie qu'il porte sur ses contemporains, son inaltérable honnêteté, son peu de goût pour l'argent ainsi que son remarquable swing du droit en font un personnage terriblement attachant. Lew évoque inévitablement Marlowe, mais aussi les personnages qui lui succèderont, tels que Harry Bosh ou Dave
Robicheaux, deux anciens du Vietnam qui hantent les longues séries imaginées par
Michael Connelly et
James Lee Burke.
« C'était l'auto-stoppeur le plus épouvantable qui m'eût jamais fait signe. Il s'était redressé à genoux dans le fossé, avait levé un bras. Ses yeux étaient des trous noirs dans son visage jaune, sa bouche une brillante tache de rouge comme un sourire de clown ».
C'est ainsi que commence le roman : Lew Archer tente, en vain, de sauver un auto-stoppeur sur le point mourir. Intrigué par la mort du jeune homme, la disparition d'un camion chargé d'une impressionnante cargaison d'alcool, le détective privé va se lancer sur les traces de la fille du propriétaire, elle aussi disparue, et s'attarder plus que de raison dans la petite ville de Las Cruces.
Si l'intrigue est habilement menée, le magnétisme du roman tient évidemment à son ambiance noire, que n'aurait pas reniée
Raymond Chandler. Lew Archer n'est jamais très loin lorsque les macchabées s'accumulent. Son sens de l'esquive et sa droite bien ajustée lui permettent de se sortir de situations mal engagées, même si notre héros est parfois pris en traître par un crochet du gauche qui fait mouche et l'envoie sombrer dans un sommeil aussi opaque qu'une nuit sans lune. Les femmes fatales et des jeunes filles délurées hantent le récit, et s'il arrive que notre détective désabusé ne soit pas insensible au charme d'une épouse délaissée, il se conduit néanmoins toujours en gentleman.
«
Trouver une victime » touche juste lorsque
Ross Macdonald nous fait partager le regard de son héros sur la faune locale, un regard qui mêle une ironie mordante à un désenchantement existentiel. Mais là où le romancier fait véritablement mouche, c'est lorsqu'il insuffle une forme de grâce, de poésie un peu décalée au récit, lorsqu'il quitte un instant le rivage de son intrigue pour rejoindre celui de la beauté d'un monde qui disparaît dans le rétroviseur de Lew Archer.
« Un liseré de chaux blanche apparut d'abord tout au long de l'horizon, puis le ciel s'embrasa aux couleurs d'un juke-box. le soleil claqua dans mon rétroviseur comme une pièce de monnaie brillante brusquement éjectée d'une machine. le désert caméléon pastichait le ciel, les arbres de Josué s'inclinaient comme des déments vers l'avancée de l'aube. »