« D'une certaine façon je suis au bord du monde. Mais je n'avance pas. Je reste au bout et je souffre. »
C'est tout le désespoir d'une
Mary Maclane de 19 ans qui nous heurte au travers de son journal, ou devrais-je dire, au travers de son Portrait, puisque c'est ainsi qu'elle le nomme. La vacuité de la vie nous explose en plein visage à la lecture de son ouvrage. Peinant avec elle dans une marche infinie, suppliciale, nous ouvrons les yeux sur un monde aussi stérile que le sable du Butte, petite ville minière du Montana.
Quelques éclairs de bonheur zèbrent les pages çà et là. « Il m'arrive parfois au milieu d'une journée étincelante d'octobre d'avoir marché pendant des kilomètres sous la voûte immense d'un ciel parfaitement bleu. La journée étincelante et la voûte immense du ciel parfaitement bleu sont entrées dans mes veines et se sont unie au flux de mon sang écarlate. » (p.28)
C'est un bonheur simple donc, auquel
Mary Maclane aspire. Elle cherche son Bonheur partout, marchant des kilomètres pour accomplir sa quête. le trouvera-t-elle dans la douce Aube Grise, dans la ligne rouge et transcendante du crépuscule ?
Mary Maclane entreprend de chercher le Bonheur dans le malheur-même : « J'ai atteint un état sincèrement merveilleux de malheur misérable et morbide. » (p.13)
Mais elle reste bredouille et esseulée. Sa famille n'est rien à ses yeux. Seules les brosses à dents de la salle de bain lui rappellent qu'elle existe. Même sa dame Anémone ne parvient pas à la guider. le Bonheur se fait attendre et le Diable seul, qu'elle vénère, semble capable de lui apporter.
le Diable plane sur le livre. C'est un être de paradoxe : une entité parfois, un homme souvent ; un être malfaisant et doux, pervers et compréhensif.
Mary Maclane en est follement amoureuse et se languit de lui au cours de ces trois mois d'écriture. Elle veut « du rouge, du rouge, du rouge ! » : le rouge du Diable, le rouge du sang mais aussi le rouge de la vie… Qu'elle touche du doigt le Bonheur, ne serait-ce que pour trois jours, et
Mary Maclane sera comblée.
J'ai aimé les mots simples et puissants, encore amplifiés des répétitions surabondantes, échos du désespoir qui résonnent vainement dans l'âme de
Mary Maclane. Cette esthétique de la répétition c'est le reflet de l'ennui, de la profonde détresse de la jeune auteure, passant sa vie à marcher sur le sable stérile. L'ennui est un fléau auquel la jeune femme est confrontée, consciente que sa condition de femme en est pour partie responsable.
Mary Maclane voudrait être un homme, elle en a d'ailleurs les facultés : robuste, en excellente santé, elle est fière de son excellent foie qui lui permettrait de croquer le monde à pleines dents si on le lui permettait. Mais on ne lui permet pas. Et, de toutes ses forces, elle attend que le diable l'emporte…
J'ai aimé cette plongée dans les tribulations intérieures de
Mary Maclane. J'ai aimé la grande sincérité de l'auteur qui décide de faire le portrait d'une femme sans égale, elle-même. Elle nous livre les réflexions directement puisées dans son coeur : sa folie, son génie, son narcissisme, son mépris des autres nous sont dévoilés sans tabou. Elle parvient à creuser son moi authentique bien plus profondément, à mon sens, que ne l'avaient fait
Montaigne dans ses "
Essais", ou Rousseau dans ses "Confessions". le temps de la lecture, il me semble avoir eu son âme entre les mains.