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Critique de Gangoueus


A quand remonte mon premier film de Spike Lee vu sur un écran télé? Pour être très honnête, je ne sais pas. Peut-être que mon premier rapport avec le cinéaste américain remonte à ses publicités de la fameuse Nike Air Jordan que l'on pouvait suivre sur MTV à Brazzaville. Ou son clip, toujours avec Michael Jordan et Michael Jackson, Jam. Mais si on veut creuser plus loin, je convoquerai RedHead Kingpin and the FBI et leur morceau Do the right thing. Quand je reçus à Brazzaville, ce rap original, je me souviens que le titre de ce tube renvoya à celui d'un film qui marquera à la fois l'univers du Hip-Hop, de l'Amérique. Do the right thing...


C'est un des premiers DVD que j'ai acheté en France. Spike Lee à la fin des années 90 est un mythe. Et à l'instar de ma relation avec l'écrivaine Toni Morrison, à partir du moment que j'ai commencé à visionner une de ses productions, je ne me suis plus détaché de son travail qui pendant longtemps a été doublé en français, pour mon grand plaisir. Do the right thing, Jungle fever, Mo' Better blues, Malcolm X (vu au cinéma), Clockers, He got game, Bamboozled (The very black show, vu au cinéma), She hate me (Vu au cinéma). Karim Madani a eu le privilège de voir le film Do the right thing à sa sortie. Quand en parcourant les chroniques de la youtubeuse Sarah Estelle, je découvre cette biographie du cinéaste américain, je suis piqué à vif. J'abandonne ma lecture de Faulkner pour m'immerger dans l'ouvrage que Karim Madani, critique de cinéma et de musique, a écrit.


Karim Madani aborde le sujet par le moyen le plus approprié à mon sens : l'oeuvre de l'artiste. C'est le meilleur des hommages, celui qui repose sur la production d'un auteur. Pas de clichés people ici. Même si certaines prises de paroles de l'auteur américain sont utilisées, elles font généralement suite à des polémiques ou échanges liés à la sortie d'un film. le critique français se propose de décrire le contexte de création pour les films qu'il choisit de mettre en exergue. Et c'est extrêmement intéressant.

Prenons Do the right thing. Karim Madani revient sur des épisodes douloureux sur lesquels Spike Lee s'est appuyé pour bâtir cette journée tragique, chaude, très chaude dans un quartier de Brooklyn qui conduira à l'explosion de vivre ensemble précaire de ce block et une violente émeute. La trame du film est connue. Je ne reviendrai pas dessus. Mais, Madani rappelle le caractère malheureusement actuel du scénario. le meurtre de Radio Raheem (Radio Barjot dans la version française) par un policier qui déclenche l'émeute n'a rien de très différent avec celui récent d'Eric Garner lors d'un banal contrôle de police. La chronique des violences policières aux Etats Unis est d'une fâcheuse récurrence. Faut-il rappeler celle - anecdotique - du tennisman James Blake ou l'assassinat de Michael Brown à Ferguson pour ne parler que de quelques cas. Mais au-delà de l'actualité d'un phénomène qui résiste au temps, Madani nous plonge dans Brooklyn, développe son analyse de certaines scènes croustillantes qui - à l'époque de la sortie du film - mettaient le doigt sur des problèmes extrêmement profonds comme la gentrification de certains blocks, l'équilibre fragile entre les différentes communautés habitant de manière assez inhabituel dans un même espace. Même la chaleur qui est une donnée essentielle du film est réanalysée, auscultée, dans ce film où tout le monde est en sueur. Une portion du film nous échappe si on ne réalise pas le caractère explosif de certaines conditions climatiques à New York. Si je ne m'arrêtais que sur ce film, je ne dirai pas que Madani me fait redécouvrir le film. Mais, sa connaissance du terrain, ses multiples interviews ou analyses des interviews de Spike Lee permettent de mesurer la profondeur du point de vue du cinéaste de Brooklyn. D'ailleurs, Madani revient un peu plus loin sur une conséquence que Lee n'avait surement pas envisagé de son film. le mythique délire sur les baskets Air Jordan que vénèrent Buggin'Out (personnage incarné par Giancarlo Esposito). de manière assez étonnante, on réalise que le film a participé au développement d'une fascination mortelle envers cette paire de baskets. Des adolescents tuaient ou été tués pour s'en procurer. En filigrane, Madani montre l'origine du consumérisme autour de certaines marques de baskets dans les banlieues françaises.




Le critique français a toutefois un angle d'attaque précis. D'ailleurs la filmographie choisie le montre bien. Il observe principalement dans le discours De Lee, la question économique qui gravite souvent autour du business de la drogue. Même Do the right thing plus centré sur les émeutes raciales n'échappe pas à cette analyse d'accès ou pas à la consommation. Ainsi Jungle fever, qui pourtant explicitement dans son affiche continue d'explorer les rapports inter-raciaux, apparaît au travers du personnage secondaire de Gator (incarné par Samuel L. Jackson) - selon Madani - centré sur l'impact de l'introduction du crack dans les ghettos afro-américains. Et c'est l'unique reproche que je ferai à l'excellent critique de hip-hop : il aborde trop peu les tensions esthétiques de ce film si cette expression peut avoir un sens pour les lecteurs exigeants que vous êtes. Qui a vu Jungle fever a le sentiment que Lee part sur deux directions, qu'il est moins cohérent que dans Do the right thing qui un des rares films de Spike où le cinéaste ne s'autorise pas de longues digressions n'ayant à priori rien avoir avec le sujet initial. Dans Jungle fever, est avant tout observé le complexe d'infériorité que traîne certaines élites noires et que Frantz Fanon avait exploré avec maestria dans son essai Peau noire, masques blancs. Spike Lee va plus loin en traitant la représentation que font les italo-américains du sujet. Ce que j'entends dans le propos de Madani, c'est que dans les films cités, la volonté première du cinéaste de Brooklyn est de traiter la question de la drogue et devoir comment elle rattrape même ceux qui semble avoir parfaitement réussi à quitter le ghetto comme Flipper Purify.

L'article tire en longueur. Mais j'ai encore quelques points à surligner. le choix de Clockers par exemple. En effet, en dehors de Do the right thing et dans une certaine mesure Jungle Fever, on aime Spike Lee pour ce qu'il dit. Il a certes apporté une nouvelle manière de filmer avec des techniques sur lesquelles Karim Madani ne s'attardent pas trop. Il rappelle que dans He got game, le cinéaste fait le choix de filmer ce quartier new-yorkais situé près de l'Atlantique avec une approche originale. Et j'avoue que rien que pour cette analyse, je vais revoir He got game. Madani choisit de porter sa critique sur l'évolution du regard de Spike Lee sur le ghetto. ll s'agit d'une american urban story. Personnellement, je m'attarde beaucoup plus sur des questions identitaires traitées par Spike Lee. Clockers est donc un film lent, lourd, triste sans rythme où rien ne semble se passer en dehors de certaines tirades de Delroy Lindo ou de Harvey Keitel. La critique sociologique qu'en propose Madani là aussi me pousse à avoir une relecture de ce film.
La question des guetteurs et des jeunes dealers traités par Spike Lee
Elle confirme pour moi le fait de Madani a un fil directeur précis. Des premiers grands films de Spike Lee, il est l'un des plus soporifiques. On retient la figure de Mekhi Phifer, gamin au moment de la réalisation du film et du jamaïcain Delroy Lindo.

Je comprends pourquoi La 25ème heure compte plus pour le critique français que Bamboozled qui est pour moi un des meilleurs films de Spike Lee. Il me semble qu'avec Bamboozled, le cinéaste n'est pas dans la description d'une frange de l'Amérique urbaine fragmentée. Dans un film où Lee expérimente de nouvelles manières de filmer avec les caméras numériques, la question de la représentation des noirs dans les médias par une remise en scène du funeste show de "minstrels" est traitée avec maestria avec un drame construit un peu comme dans Do the right thing. Lee y fait une critique en règle de l'entertainment américain. Avec Damon Wayans assez étonnant dans son rôle de manager tant on est habitué de la voir dans des rôles de comique.

Ce que j'apprécie dans la lecture du livre de Madani, c'est la passion du critique qui après chaque analyse vous donne envie de revoir le film décortiqué par ses soins. Il travaille sur le fond du discours du cinéaste américain plus que sur la forme de son art qui - parfois - aurait gagné en esthétique si la volonté de dire, de dénoncer une certaine approche de l'Amérique, n'avait pas hanté Spike Lee et primé dans ses choix de créateur. le livre de Karim Madani nous donne donc une analyse sur l'impact d'un artiste sur toute une génération d'artistes, de jeunes issus des ghettos afro-américains mais aussi européens. Car au final, en regardant New York, Brooklyn ou le Bronx, nous regardons de manière détournée Saint-Denis, Aubervilliers ou Grigny.
Lien : http://gangoueus.blogspot.fr..
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